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En doit-il être ainsi ? M. Schelling ne le pense pas, et nous arrivons ici à l’idée essentielle de sa philosophie.

Il est deux manières de considérer l’univers : ou bien l’on déduit toutes choses du principe suprême par une nécessité logique, on descend de Dieu au monde, comme d’un principe à sa conséquence, en sorte que, Dieu étant, le monde doit être aussi, que l’un ne se conçoit pas sans l’autre, que Dieu ne peut pas ne pas produire le monde ; ou bien Dieu l’a créé par un acte de sa volonté, par une libre décision. Le monde est nécessaire, ou il est accidentel. Ces deux conceptions ne peuvent subsister ensemble dans le même esprit : elles sont inconciliables et les seules possibles : l’une est vraie, l’autre est fausse. Or la raison seule, la méthode logique, ne donne qu’un monde nécessaire. L’acte libre ne se détermine pas à priori, nous l’avons déjà dit, il ne se connaît qu’à posteriori, par l’expérience. La méthode expérimentale ou historique devra donc trouver sa place dans la philosophie, si la liberté trouve la sienne dans le monde. La raison n’est donc point un arbitre désintéressé des deux systèmes comme l’observe M. Schelling. Nécessairement elle se décide pour l’un et condamne l’autre : elle n’est pas juge, elle est partie : elle n’examine pas les causes, elle en plaide une. Il en est de même de l’autre méthode : son emploi suppose un monde accidentel, autrement elle serait hors de propos. Il se présente donc au début de la philosophie une alternative de méthodes qui est une alternative de systèmes. On voudrait en vain s’affranchir de toute idée préconçue : on a un choix à faire, que l’on ne peut éviter. Cet acte est décisif : la philosophie, loin de pouvoir nous éclairer sur ce choix, ne peut commencer que lorsqu’il est fait ; elle part d’une hypothèse. En admettant la raison comme seule source de connaissance, on s’abusait donc singulièrement sur ce que l’on faisait. On croyait se placer dans une position désintéressée, et l’on avait déjà pris parti entre les systèmes rivaux. On croyait éviter l’hypothèse ; on ne soupçonnait point avoir fait un choix. L’illusion était facile, car c’est assurément une nécessité de penser les idées nécessaires, mais ce n’en est plus une de ne penser qu’elles. Ceci est entièrement gratuit, et c’est à ce point qu’à notre insu se glissait une conception arbitraire de la science et de la méthode.

M. Schelling cherche quelle est la plus naturelle des deux hypothèses. S’il y a une philosophie, elle est l’œuvre de la libre pensée, de l’intelligence affranchie de toute autorité extérieure. Ce n’est ni d’une tradition, ni d’un livre sacré, c’est de l’esprit humain qu’elle