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symbole. Bembo, ami intime de Lucrèce Borgia, ayant donné à Manuce une médaille de l’empereur Vespasien, dont le revers représente un dauphin, signe de la vitesse, s’enlaçant autour d’une ancre, signe de stabilité, Érasme, qui était encore son ami, s’écria que ce blason était celui du savoir faisant la guerre à l’ignorance, et Manuce s’en empara. Plus tard, Maximilien, dans une longue concession d’armes, créa gentilhomme l’un des fils de l’imprimeur, lui donnant pour armoiries réelles l’aigle autrichienne tenant l’ancre aldine dans ses serres ; l’aigle devait un jour être vaincue par le dauphin.

Déjà mêlée très activement aux origines de l’invention par la situation limitrophe de Mayence, par la vente des Bibles de Faust, par l’éducation que l’université de Paris avait donnée à cet habile copiste Schœffer, le troisième nom dans les annales de l’imprimerie, la France reparaît, dès l’année 1469, comme l’ardente propagatrice du nouvel art. C’est, ne vous en étonnez pas, la Sorbonne qui l’appelle à Paris. Jean de La Pierre, ou Jean Stein, qui en était prieur, entend parler de la nouvelle invention, et fait venir à ses frais trois ouvriers de Gutenberg, Ulrich Geringe, Cranz et Freyburger. Ils impriment, dans la Sorbonne même, sous ses yeux émerveillés, leur premier volume ; le sanctuaire théologique donne asile au premier type mobile, conquérant infaillible de l’avenir. Aussitôt nos imprimeurs font souche. Toutes les rues qui environnent la montagne Sainte-Geneviève, ce Parnasse du moyen-âge, se peuplent de libraires et d’imprimeurs. Si l’Allemagne avait été féconde en grammaires, en voyages, en calendriers, en fleurs des saints, en sermons, en doctrinaux ; si l’Italie, dès les premiers temps de l’invention, avait produit en foule les belles éditions des anciens, on vit la France, fidèle à sa mission intermédiaire et arbitrale, publier à la fois, dès l’origine, des Cicérons, des psautiers, des vers français, des contes plaisans, des livres d’histoire, Homère, le Roman de la Rose, et des chansons françaises. Remarquez cette place moyenne et intelligente, si bien signalée par les produits de la presse parisienne. Remarquez aussi qu’à peine parvenue en France, l’imprimerie y devient action et pamphlet. La pensée allemande a dû passer le Rhin pour se réaliser dans l’impression ; elle a dû arriver jusqu’à la Seine pour devenir ce qu’elle est, une force d’attaque. L’esprit critique, cette grande puissance de la France, se développa bientôt, grace à l’imprimerie, avec une vigueur qui n’appartenait à nul autre pays. Elle publie Ramus, Étienne Dolet, Rabelais, Marot, Villon, tous esprits critiques. L’un des premiers petits volumes curieux du XVIe siècle est cet in-12 révolution-