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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

féré ? Sans doute, une belle bataille avec de longues lignes de troupes bien rangées et un bel empereur au milieu, comme dans ces enluminures qui servent de tapisserie aux cafés militaires de la province. Mais qui eût aperçu Fabrice, le héros de l’action et non de la bataille, au milieu de ces cent mille hommes qui jouent leur vie et à côté de cet empereur qui joue son empire ? M. Beyle a caché tout cela pour ne laisser voir que des généraux qui passent au galop, des boulets qui font jaillir la boue, des cantinières, des blessés, des traînards, qui volent des chevaux, toutes les brutalités, toutes les petites misères de la grande gloire des batailles, il a laissé l’histoire pour rester dans son sujet, au lieu de quitter son sujet pour se jeter dans l’histoire. Il a donné une nouvelle preuve de cette précision d’intelligence, de cette netteté d’esprit que nous avons si souvent rencontrées chez lui. Nous lui reprocherions plutôt d’avoir poussé jusqu’à la niaiserie la simplicité de Fabrice, qui se demande encore, six mois après, s’il a assisté à une vraie bataille. Nous savons bien que l’auteur veut dire : Ce n’est point là la vanité française ; mais il le dit si longtemps, que l’invraisemblance du moyen fait évanouir le sel de l’intention.

Le Rouge et le Noir et la Chartreuse de Parme sont les deux romans que devait écrire M. de Stendhal. Ils se font suite, ils se complètent, ils résument toutes ses idées, l’un par le côté critique, l’autre par le côté idéal. C’est le monde qu’il a conçu, appuyé sur ses deux pôles. Après ces deux romans, il n’eût pu en écrire un troisième, au moins sur le même plan philosophique que les premiers. Ses voyages en Italie et son voyage en France résument, avec la même disposition symétrique, les mêmes idées à un état différent. Ses autres ouvrages n’en sont que l’application à divers objets de la connaissance ou de la sensibilité humaine. Ainsi il a pu montrer toutes les faces de sa pensée, et la mort est venue le surprendre au moment où il n’avait plus rien à dire.

Nous en avons fini avec ses livres ; sauf une histoire de Napoléon, en dix volumes, qu’il laisse, dit-on, manuscrite, il ne reste plus que quelques articles de revues françaises ou anglaises, une brochure contre le saint-simonisme de 1825 intitulée : D’un nouveau complot contre les industriels, quelques nouvelles, les unes plus étendues, comme l’Abbesse de Castro et les Cenci, insérées dans cette Revue, et empruntées toutes les deux à des manuscrits Italiens ; les autres, de moindre importance, comme le Coffre et le Revenant, le Philtre, etc. Nous n’avons à y signaler que les qualités ordinaires et