treuse de Parme, il a essayé de montrer comment, par la passion, un peuple qui n’a point de vanité sait se rendre grand, sinon heureux. Quel cœur est plus déchiré que celui de Fabrice ? Au moins l’œil se repose ici sur de beaux caractères. Ce roman, qui marque l’apogée du talent de M. de Stendhal, témoigne aussi de l’aptitude qu’il avait à se perfectionner encore, le solstice de la vie déjà passé. Mais probablement, après la Chartreuse de Parme, l’auteur, comme romancier, n’eût fait que déchoir. C’était là, en effet, le couronnement logique de toute sa vie et de toutes ses pensées, le livre spécial pour lequel il semblait être né à la vie d’écrivain, le fruit mûr et doré promis par tous ses ouvrages antérieurs, qui n’en ont été que la floraison dans ses phases successives. Jusqu’ici, M. de Stendhal n’a fait que chercher son idéal, ou l’expliquer, soit par des idées positives, soit par des contrastes et de la critique. Il en a analysé tous les élémens, il en a montré les faces diverses, et comme rassemblé une à une les parties. Cette fois, l’idéal a un corps, il marche, il est animé du souffle de vie. La voilà, cette vie, telle que M. de Stendhal l’a conçue, avec de grandes ames qui ont une sensibilité profonde et une logique droite. Pour qui a lu les vingt volumes qui ont précédé ceux-ci, la Chartreuse de Parme n’est que le résumé en action de toutes les idées et de toutes les théories qu’il a rencontrées antérieurement à l’état de formules analytiques. Nous dirons même que ce passage d’un état à l’autre se fait trop sentir. Nous avons déjà remarqué comme M. de Stendhal aime les incidens et les petits faits minutieux pour peindre ses idées ; il les aime non-seulement par instinct, mais par système, car il dit quelque part : « Les La Harpe auraient bien de la peine à nous empêcher de croire que, pour peindre un caractère qui plaise pendant plusieurs siècles, il faut qu’il y ait beaucoup d’incidens qui peignent le caractère et beaucoup de naturel dans la manière d’exposer ces incidens. » Or, comme il a amassé beaucoup d’observations résumées dans sa tête en aphorismes, et qu’il lui faut amener un incident pour reproduire dans un personnage chacun des aphorismes dont l’ensemble se rapporte au caractère qu’il lui a prêté, il semble que ces caractères n’aient pas été conçus d’un jet, mais formés de petites pièces rapportées. C’est de la mosaïque, et non de la peinture.
Je me figure M. de Stendhal travaillant à peu près comme un homme qui ouvrirait La Rochefoucauld, je suppose, et qui se dirait : À l’aide de pensées extraites de ce livre qui peint les hommes, je vais reconstruire un héros que je ferai agir. J’inventerai un incident