Le principe de M. de Stendhal est d’ailleurs, avec plus d’étendue et de portée, une transfiguration de l’intérêt, d’Helvétius, Helvétius dont il ferait volontiers le plus grand philosophe qui ait jamais été, mais à qui il reproche une petite faute bien légère, à la vérité, et bien facile à réparer, celle de n’avoir point substitué à ce vilain et disgracieux mot d’intérêt le joli mot de plaisir. Là-dessus, comme sur bien d’autres points semblables, nous nous permettons de dire : voilà l’enfantillage. Bentham avait aussi adopté le principe de l’utile, mais d’une manière plus étroite.
Rome, Naples et Florence, de même que les Promenades dans Rome, contiennent en détail les applications des idées qui sont réduites en système dans l’Histoire de la Peinture. C’est à ces ouvrages, ainsi qu’aux Mémoires d’un Touriste, que M. Beyle a donné la forme de simples notes écrites au jour le jour. Nous n’oserons pas affirmer qu’il n’y ait pas autant d’affectation que de sincérité dans la négligence apparente de cette forme, et c’est ici que M. Beyle nous paraît avoir une paresse travaillée. Mais quel qu’ait pu être le travail d’arrangement préliminaire qui a conçu et ordonné ce désordre, les facilités qu’un tel plan laissait dans le détail à l’auteur restent telles, qu’il a dû éprouver un plaisir délicieux à écrire chacune des pages qu’il a consacrées à cette Italie, si profondément étudiée, sentie, aimée par lui. Aucun de ces ouvrages ne forme un tableau. C’est plutôt un assemblage de ces coups de crayon comme on en trouve dans les cartons de tous les peintres, et où le trait d’un personnage se trouve répété sous mille faces et dans mille attitudes différentes. Malgré ce procédé, qui sent trop l’intérieur de l’atelier, et qui n’en devrait pas sortir, l’Italie et les Italiens ont été peints par M. de Stendhal avec une finesse de vue, un détail et un fini que les ouvrages du même genre, et mieux faits d’ailleurs, n’offriraient probablement dans aucune langue ni au sujet d’aucun peuple.
Je ne sais point de voyageur qui, en mettant le pied sur un sol étranger, se soit posé cette question si simple en apparence en même temps que si précise et si complète : « Je veux connaître les habitudes sociales au moyen desquelles les habitans de Rome et de Naples cherchent le bonheur de tous les jours… Un homme bien élevé et qui a cent mille francs de rente, comment vit-il à Rome ou à Naples ? Un jeune ménage qui n’a que le quart de cette somme à dépenser, comment passe-t-il ses soirées ? » Qu’est-ce que Montaigne, cet esprit si observateur, si judicieux, si jaloux, lui aussi, de sa fantaisie et de son originalité, qu’est-ce que Montaigne, tout le premier, a vu en