eux une sorte de parenté naturelle ; M. Beyle était un cadet de la famille. C’est le même sens net, acéré, perçant, la même prestesse, la même humeur soudaine et poussée aux vivacités parfois périlleuses, le même tour sentencieux et bref, le même goût (plus attique chez le président du parlement de Bordeaux) pour l’exactitude de la pensée élevée d’un brin de sel, le même talent d’arrêter l’expression juste au point où elle fait entrevoir la pensée et laisse au lecteur le plaisir de la deviner et de l’achever, la même absence de déclamation et de phraséologie. Seulement, sur ce dernier point, on pourrait dire de M. Beyle, opposé à Montesquieu, ce que lui-même a dit des modernes opposés aux anciens, qu’ils étaient simples par art, comme les anciens le sont par simplicité. Je ne sais si, comparativement aux Grecs et aux Latins, l’auteur de la Grandeur et de la Décadence des Romains n’atteint que par l’art à la simplicité ; mais comparativement à nous, enfans du déclamateur Jean-Jacques, poussés au dernier degré de la corruption par l’invasion du germanisme et du britannisme, Montesquieu est un écrivain français de race pure, qui eût dû inventer l’affectation pour n’être pas simple tandis que M. Beyle n’est simple que par réaction, et non pas seulement par art, mais par affectation. Il a outré l’art d’être simple. Et voilà pourquoi, malgré toutes les vertus du sang qui éclatent en lui, il n’est, de bien loin, qu’un cadet.
Dans l’Histoire de la Peinture en Italie, M. Beyle a voulu manifestement monter au rang des aînés. Le livre est composé avec suite, écrit avec tenue. Les phrases sont achevées, les mots aussi. L’ironie, si elle y reparaît, y prend elle-même un caractère plus élevé. On n’y voit plus de ces bouffonneries qui n’ont pour objet que d’agacer le lecteur et de faire pièce à ses manies présumées. Nous ne voulons point dire que ce soit là encore la véritable méthode ni le véritable style historique ; nous disons seulement qu’avec quelques-unes des qualités les plus éminentes de l’historien, il y a ici l’intention d’atteindre aux autres. Ainsi qu’on pouvait s’y attendre, l’ordre adopté par l’auteur est, non pas l’ordre tiré du développement de la peinture en raison de la somme d’idées ou de ressources progressivement acquises par les artistes, et abstraction faite en quelque sorte des personnes, mais l’ordre biographique. Nous savons quelle est l’horreur de M. de Stendhal pour les choses abstraites. C’est ce qu’il appelle le vague. Il réduit, il ramène toujours le style à l’expression concrète, les pensées à un fait, les ensembles de faits à des noms propres. Aussi l’histoire n’a pour lui que deux échelles de proportion,