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confirmation de ce que nous avons dit, que toutes ces idées étaient faites et liées dans son esprit lorsqu’il s’est avisé pour la première fois d’écrire ; car le libéralisme, n’existant pas lorsqu’elles se formaient, n’a pu se faire sa place, comme partie intégrante, dans leur ensemble, et, quand il est survenu, il a trouvé un appareil tout construit au milieu duquel il n’a été et pu être qu’une pièce de rapport tant bien que mal ajustée, faisant tache et menaçant ruine.

M. Beyle, bien qu’il ait visé à laisser sa trace dans la politique et dans la philosophie, n’est donc pas plus un philosophe qu’un politique. Il est toujours et avant tout un homme du monde, pétillant d’idées ingénieuses, d’aperçus heureux et fins qu’il veut bien prendre la peine de coordonner avec une logique fort adroite, et au bout desquels il découvre une théorie du bonheur qui peut être profitable aux gens du monde comme lui. Mais avec cette théorie, dans l’état de nos mœurs, de nos lois, de nos croyances, de tout ce qui fait de nous une société, un honnête homme qui n’en saurait pas davantage prendrait tout droit le grand chemin de la potence. « Ce peuple, dit-on, est féroce, s’écrie M. Beyle en parlant de la canaille de Rome ; tant mieux ! il a de l’énergie. » Sans doute, l’énergie est belle et probablement la plus belle chose du monde, puisque sans elle nulle chose n’arrive à son sublime. Comme homme d’imagination, et même comme moraliste, M. Beyle a raison de la chercher, de l’admirer, de l’aimer ; mais là où elle ne sait se produire que dans des actes comme ceux qu’il se plaît à citer, c’est-à-dire des assassinats, est-ce bien le lieu de s’écrier : Tant mieux ? Ce sont ces applications forcées d’idées trop négligées, quoique très justes et très utiles, qui lui ont valu, selon toute apparence, le reproche de paradoxe. Il savait d’ailleurs que chez nous, et dans la classe où devaient se rencontrer ses lecteurs, ces petits excès n’ont rien de dangereux, et il se livrait en toute sûreté de conscience au plaisir de donner à la vérité non pas seulement un air de vérité, mais un air et une saveur de contraste. Or, quel beau contraste fait ce tant mieux avec les habitudes du XIXe siècle, qui « aime le joli et hait l’énergie ! » M. Beyle avait en outre, pour chercher l’extrême et le singulier, une autre raison que nous pouvons surprendre dans cette phrase : « Dès qu’il ose déserter l’habitude, l’homme vaniteux s’expose à l’affreux danger de rester court devant quelque objection ; peut-on s’étonner que, de tous les peuples du monde, le Français soit celui qui tienne le plus à ses habitudes ? C’est l’horreur des périls obscurs, des périls qui