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ils ont pris de nous l’étourderie, et l’ont ensuite bottée à l’écuyère pour lui faire passer le Rhin. Leurs amis, nos humanitaires, ont pris de l’Allemagne à leur tour le brouillard et la pesante emphase. C’est, des deux côtés, généreusement débarrasser ses voisins de ce qu’ils ont de pire. Bruno Bauer et Feuerbach sont les deux coryphées des Annales : ils font ouvertement profession d’athéisme.

Bruno Bauer s’est d’abord rapproché d’Hengstenberg, un des théologiens les plus distingués de l’Allemagne, et de tous le plus strictement orthodoxe. Il désirait une place. Le ministre d’Altenstein lui fit entendre qu’il n’en obtiendrait point, tant qu’il se montrerait piétiste. Bruno Bauer ne se fit pas prier : il écrivit sans hésiter contre Hengstenberg : dès-lors chaque jour l’a vu plus violent contre le christianisme. Il y a dans cet homme je ne sais quoi de sombre et d’implacable qui repousse comme une fureur déicide. Il obtint la place qu’il avait payée si cher : il vient de la perdre en voulant trop bien la mériter. Il avait autrefois réfuté Strauss : dans un nouvel ouvrage il l’a dépassé et l’accuse d’équivoque et de mysticisme ; il ravale à plaisir théologie et théologiens. À quoi servent-ils, en effet, depuis qu’il n’y a plus de Dieu ? Bruno Bauer occupait pourtant une chaire de théologie, et s’en servait pour professer son athéisme. Le ministre des cultes consulta les facultés protestantes de la Prusse : cette affaire fit grand bruit ; Bruno Bauer finit par perdre son procès et fut destitué.

Feuerbach ne pensa pas non plus toujours comme il le fait aujourd’hui. Il inclina d’abord au mysticisme et se destinait à la théologie. L’influence de Hegel changea ses projets, et le fit se vouer aux études philosophiques. Il eut à se plaindre des piétistes d’Erlangen ; leurs torts l’exaspérèrent et décidèrent sa haine pour le christianisme. Ce fut un ennemi juré : sa vive imagination et son caractère fougueux ne connaissent pas de mesure ; son talent sert bien sa colère. Son livre sur le christianisme est celui qui a le plus attiré l’attention après ceux de Strauss. C’est tout autre chose cependant : ne cherchez pas ici la froideur et l’impartialité ; ce n’est plus de la science, c’est l’emportement et le sophisme de la passion. Il y a dans ce livre de cyniques blasphèmes qui font peur, et des pages inspirées d’une sanglante ironie contre Dieu. Strauss se sert, pour attaquer le christianisme, de l’histoire et de la raison. Feuerbach choisit une arme plus légère ; sa discussion a un intérêt tout pratique : il fait de la psychologie. On dit que le christianisme répond aux besoins de l’ame : Feuerbach ne le nie pas, mais il ne voit dans l’Évangile qu’une