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Paris pour Marseille, où il fut commis chez un négociant dont le père habitait, à Grenoble, dans la maison du grand-père de M. Beyle. Peu de temps après, en 1806, on le nomma adjoint au commissaire des guerres, fonction qui lui valut bientôt celle d’intendant des domaines de l’empereur, à Brunswick. Dans ce bon pays allemand, il trouva un jour moyen de tirer 8 millions d’une mouture qui n’en devait rendre que quatre, et comme d’ailleurs il ne cacha point ces 4 millions de surplus dans sa poche, cela fit dire qu’il avait le feu sacré ; c’était un mot du temps. La campagne de 1809 vint l’arracher au Brunswick. Il suivit, comme attaché à l’intendance-générale, sous M. Daru, l’armée de Wagram, et put assister dans Vienne au convoi de Haydn, mort le 31 mai du coup qui avait anéanti l’indépendance de son pays.

Ce fut, je crois, dans le cours de cette campagne que M. Beyle eut occasion de montrer qu’il possédait réellement ce feu sacré dont on lui avait fait honneur en des circonstances où le mot était moins heureusement appliqué. On l’avait abandonné avec les malades et les approvisionnemens dans une petite ville dont la garnison avait été jugée plus nécessaire ailleurs. Officier d’administration, le dépôt qu’on laissait était placé sous sa responsabilité. Le pays était mal disposé à notre égard, et n’attendait qu’une occasion pour nous le faire sentir. À peine la garnison avait-elle quitté la ville, qu’une insurrection formidable s’organisa, le tocsin sonna, toute la population se leva. Il ne s’agissait de rien moins que de massacrer les malades à l’hôpital, et de piller ou brûler les magasins. Privés de troupes, les officiers militaires de la place ne savaient où donner de la tête. Cependant l’émeute devenait plus menaçante. Les abords de l’hôpital s’encombraient, les cris de mort se faisaient entendre ; au péril de ses jours, M. Beyle se jette dans ces rues abandonnées à une multitude furieuse, et pénètre dans l’hôpital. Les convalescens, les malades, les blessés, tout ce qui peut un instant se tenir debout ou à peu près, il fait tout lever, il arme tout. Les plus impotens, il les met en embuscade aux fenêtres, qui, garnies de matelas, deviennent des meurtrières ; les autres, cavalerie, infanterie, toutes les armes confondues cette fois sous l’uniforme lugubre de l’hôpital, il en fait un peloton ; il ouvre les portes, et se précipite sur l’émeute. À la première décharge, tout se dissipa.

Le 3 août 1810, M. Beyle passa, comme auditeur de première classe au conseil d’état, dans la grande fournée des trois cents, et fut attaché au ministère de la guerre. Peu de jours après, on le nom-