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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

mourir d’une mort obscure et inaperçue. La littérature contemporaine, il faut bien l’avouer, n’a trouvé, devant la tombe d’un de ses membres les plus distingués, que le silence ou des paroles pires que le silence. M. Beyle mort, tout a été dit pour lui. Ses dépouilles n’ont point vu leur cortége se grossir de ces regrets qui aiment l’éclat et qui viennent chercher sous les plis du drap funèbre un reflet du lustre qu’avait jeté le vivant. Nulle vanité ne s’est crue intéressée à vivre une heure des reliefs de la sienne. Sa vie a-t-elle donc été tout-à-fait sans gloire ? Il a eu plus de droiture et de respect pour lui-même qu’il n’en faut pour mettre un nom en haute recommandation et léguer un thème sonore aux oraisons funèbres. Il a eu plus d’esprit qu’il n’en faut pour se faire une petite cour de flatteurs ou de poltrons, et tenir ses petits levers devant une foule de parasites. Il a eu plus d’idées enfin qu’il n’en faut pour planter une bannière à soi dans le champ de l’invention et tenir état de chef d’école. Mais, hâtons-nous de le dire, M. Beyle a eu un grand tort, et qui n’est pas commun, il a voulu être lui-même, il l’a trop voulu ; tout l’effort de sa vie s’est bandé, comme dirait Montaigne, à ce but, qu’il a en somme plutôt dépassé qu’atteint. À chaque pas qu’il va faire, à chaque parole qu’il va écrire, il semble se poser cette question : En m’y prenant de cette manière, vais-je ressembler à quelqu’un ? De là pour lui la nécessité d’inventer sans cesse, même dans des minuties où il n’y a plus à inventer ; de là aussi l’isolement. Des gens qui l’ont approché ont vu en lui un homme fantasque, inégal, épineux ; des gens qui l’ont lu lui ont reproché d’être un écrivain à paradoxes ; pourtant il a conservé jusqu’à la fin ses amitiés d’enfance, et il est mort sur les idées qui lui avaient fait, à un âge déjà mûr et nourri d’expérience, écrire sa première page. Ses livres ne sont, au fond, qu’une théorie du bonheur, et sa vie n’a voulu être qu’une mise en action de sa théorie, laquelle repose sur ce principe : faire à chaque instant ce qui plaît le plus. Après tout, cet excès avec lequel il abonde dans ses propres idées et dans son propre caractère, ou du moins dans celui qu’il se faisait, est le seul paradoxe dont il se soit rendu coupable ; mais ce paradoxe a été soutenu trente ans, et il s’est épanoui en une gerbe d’effets singuliers.

Pour résoudre ce problème capital qu’il s’était posé : être soi, M. de Stendhal s’est avisé d’un expédient qui a déjà sa nouveauté. Sciemment ou non, il a pris justement le contre-pied de sa propre nature. Penseur très sérieux pour lui-même, il a voulu n’être, à la superficie du moins, qu’un écrivain très léger pour ses lecteurs. Es-