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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

maître vers la fin de sa vie ? Toujours est-il que Gans, le spirituel et vigoureux adversaire de Savigny, sut fort bien concilier ses principes libéraux avec le système de Hégel.

Hégel fut, en 1831, enlevé par le choléra qui sévissait à Berlin. Sa mort ne fit que donner une force nouvelle à son école. Hégel terrorisait un peu ses disciples ; il ne reconnaissait pas pour siens tous ceux qui se réclamaient de son nom ; il ne ménageait guère ceux qui n’avaient pas saisi sa pensée à son gré. Un sarcasme les discréditait bientôt. On raconte à ce sujet plus d’une anecdote plaisante. Henning s’était rendu à Hégel à discrétion, il se bornait à copier toute sa manière. C’est de lui que le maître dit un jour : Il n’y a qu’un de mes disciples qui m’ait compris, et encore m’a-t-il mal compris. Hégel y prenait peine, à vrai dire : il est difficile de donner à sa pensée une expression plus informe. Le style de Hégel est abstrait sans être net ; sa phrase pénible, enchevêtrée, semble se mouvoir lourdement dans le vide ; jamais sibylle n’a mieux protégé ses arcanes. Les disciples de Hégel furent après sa mort plus libres dans leurs mouvemens. Dans son système, il n’y a qu’un principe, et ce principe fit tous ses aveux ; la réserve du maître ne les contenait plus. Dans l’école, il y avait deux tendances, elles se prononcèrent toujours davantage. Au côté droit, Marheineke, Gabler, Göschel, Rosenkranz et quelques autres qui s’efforcent de concilier le théisme avec la doctrine de Hégel ; au centre, Michelet ; à la gauche, les vrais héritiers, je ne dis pas de l’esprit de Hégel, mais de sa philosophie, jeune et nombreuse phalange, ardente à battre en brèche le christianisme, à renverser les vieilles institutions, à provoquer une vaste révolution.

Ce parti a d’incontestables mérites. Ses écrivains exposent avec clarté le système jusqu’alors si peu accessible de Hégel. Ils apportent dans les spéculations abstraites une lucidité dont ils ont donné les premiers l’exemple en Allemagne. Ils savent rendre la philosophie populaire et pratique ; ils l’ont fait descendre de l’école dans la place publique, et l’ont intéressée à tous les évènemens du jour. Ils ont enfin renoncé à cette duplicité trop commune en Allemagne et complaisante à cacher, sous le langage de la foi, des pensées destructives du christianisme. C’était tromper les simples, et souvent s’abuser soi-même. Ils ont rejeté ces artifices.

Cette sincérité distingue l’ouvrage de Strauss sur la vie de Jésus. On sait la profonde impression qu’il produisit sur l’Allemagne. Il fut interdit en Bavière ; on parlait en Prusse d’en faire autant. Pour la première fois, l’Allemagne voulait détourner les lèvres du fruit de la