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dépouilles, menaçaient ruine. Le 23 décembre, la caravane arriva devant la Nama-Hari ou Donkin River ; cette rivière prend sa source cinquante lieues dans l’est, à moitié chemin entre Port-Natal et Delagoa-Bay, dans les hautes montagnes qui séparent la Kafrerie du pays des Bechuanas. La chaleur devenait accablante, les attelages périssaient de soif et de fatigue au milieu de cette contrée désolée, si rarement rafraîchie par un ruisseau ; et ces cours d’eau si rares, il fallait les franchir, travail exorbitant qui achevait d’abattre à tout jamais ces pauvres bêtes, souvent liées au joug douze heures de suite sans brouter une poignée d’herbe.

Trois jours entiers, les voyageurs errèrent dans la solitude, ne sachant si les traces qu’ils rencontraient étaient celles des Griquas ou celles des émigrans ; des Bushmans pygmées et des buissons nains animaient seuls ce désert. Aux orages de la mousson déjà passée succédait le simoun ; c’était un triste christmas pour des Anglais, désormais privés de leur tente, et tant bien que mal logés dans des chariots. Enfin, après une reconnaissance poussée sur divers points, on trouva des squelettes de chevaux « et des lambeaux de corps humains, qui furent déclarés, d’après la dimension des crânes, appartenir à des Hollandais. » Voilà tout ce qui restait d’une troupe d’émigrans partis dans l’espérance d’un meilleur avenir ! Quelques jours après, « assez tard dans l’après-midi, nous donnâmes dans une ornière creusée par des chariots, dit le capitaine Harris, et nous traversâmes la rivière en suivant un sentier qui nous mena à un camp d’émigrans abandonné. Leurs huttes de roseaux, désormais désertes, offraient un abri si invitant, que nous résolûmes d’y faire halte un jour, afin de reposer nos bœufs, de nettoyer les chariots, et de donner aux Hottentots l’occasion de danser en l’honneur du nouvel an. » Conçoit-on ces stupides et hideuses figures grimaçant et sautant sans pitié sur la place temporairement habitée par leurs maîtres, leurs amis, peut-être leurs parens, et insultant par une orgie aux ruines de paille et de jonc de ce qui fut six mois la colonie d’une colonie ! Et au milieu de quel paysage cela se passait-il ? Le voici : « Nous traversâmes une étendue de terrain d’environ trois lieues, bas et imprégné de sel, rempli de mares et de petits lacs. Le nombre d’animaux sauvages rassemblés dans cette plaine humide est vraiment fabuleux ; les routes battues par leurs marches et contre-marches ressemblent à des voies. À chaque pas, d’incroyables troupeaux de toute espèce de gazelles et de gnoos, des escadrons de quaggas communs et zébrés exécutaient leurs évolutions compliquées ; par-