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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

Quel temps de galop sur les traces de la majestueuse bête ! Le cheval tombe dans un trou, le chasseur fait une culbute (ce n’était pas la première), mais qu’importe ? l’animal est blessé, et la victoire reste au cavalier moulu dans sa chute. Combien de pareils exploits dans ce livre, et toujours racontés de la manière la plus variée et la plus divertissante ! Ces combats d’un Européen contre de gros quadrupèdes presque fabuleux pour nous rappellent les histoires (nous ne dirons pas les contes), les légendes héroïques et chevaleresques de l’Hippogriphe, de la Chimère et de la Tarasque, avec cette différence toutefois, qu’ici l’homme a sous ses mains des armes trop sûres pour que le fantastique puisse intervenir dans la lutte. Cette promenade triomphante conduisit les deux chasseurs aux bords du Tolaan-River, dans un isthme délicieux où ils visitèrent le fils de Moselekatse, an aristocratic and intelligent lad, de quatorze à quinze ans. Le conquérant qui fonde un empire et une dynastie est fier, hautain, orgueilleux de ses exploits, mais il s’appuie sur lui-même ; le fils du conquérant, même chez les sauvages, se montre seulement vain, c’est-à-dire glorieux de ce qu’il n’a pas gagné, d’une position toute faite.

Le 1er novembre, au matin, parut un corps de guerriers matabilis, qui chassaient devant eux un large troupeau de bœufs ; ils se dirigeaient vers le kraal du souverain ; ces bœufs étaient le butin pris sur les émigrans, ces soldats ceux de Kapili. Le pays, de plus en plus varié, présentait des cascades, des bois, et dans le lointain les monts Kashan. Toutefois la rencontre de bergers matabilis armés de lances et de boucliers et plus nombreux qu’ils ne l’auraient désiré, rendait de temps à autre la position des voyageurs assez précaire. Encore teints du sang des Hollandais, exaltés par cette victoire récente, en guerre contre tout homme blanc, ces Kafres hideux regrettaient qu’une escorte royale mît les étrangers à l’abri de leurs coups. Aussi ce fut une double joie pour le capitaine Harris de s’éloigner du milieu de ces kraals et de rencontrer pour la première fois des traces d’éléphans.

Tout en suivant les monts Kashan, la caravane était à chaque instant assaillie par les lions ; les excursions produisaient aussi des résultats de jour en jour plus satisfaisans. Un water-buck (aigocerus ellipsiprymnus) tomba sous les balles du capitaine : il prétend être le seul Européen qui ait jamais tiré sur ce curieux animal, connu dans la science depuis dix ans à peine. Ses yeux sont larges et brillans, ses bois pesans, blancs, légèrement cannelés, longs de trois pieds, presque perpendiculaires à la tête ; les pointes se recourbent en