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voyait possesseur, nos deux voyageurs songèrent à se mettre en marche.

Nous passerons sous silence les curieux détails que donne le capitaine Harris sur l’intérieur de Moselekatse, sur son sérail, sur ses femmes, parmi lesquelles gémit une petite Griqua prisonnière, fille d’un chef de Bechuana tué avec les siens sur les bords de cette fatale rivière Vaal, et nous quitterons avec eux la cour de cet ignoble sauvage, dont on rit un instant, puis dont on a horreur et dégoût au bout de quelques pages, comme après quelques jours de résidence près de lui. Les plus barbares d’entre les souverains n’oublient pas que, s’ils sont rois, il y en a d’autres qu’eux sur la terre, et, bien qu’il se croie le plus grand monarque du monde, Moselekatse daigna s’informer du roi Guillaume, du nombre de ses troupeaux, et charger ces messieurs de le complimenter de sa part.

Une fois en paix avec Moselekatse les voyageurs n’avaient rien à craindre des autres tribus, ils pouvaient parcourir librement le désert, et commencer ce qui les tentait le plus, la chasse aux éléphans, le plus noble des sports. N’oublions pas que les chevaux boitent, que les bœufs s’égarent la nuit, et que les Hottentots s’enivrent si bien, qu’il faut les dénicher sous les buissons ; et, tout en suivant la caravane dans le sud-est, faisons cette dernière observation à propos de Moselekatse : que, dans les divers degrés de barbarie ou de civilisation, les peuples sont portés à baiser la main qui les opprime, parce qu’elle est forte, et que rien ne ressemble tant à une nation sauvage qu’une nation abâtardie ; toutes les deux sont en enfance, l’une n’en sort pas encore, l’autre y est retombée.

Nous voici sur les bords de la Moriqua : elle sort de dessous une haie de magnifiques arbres épineux et traverse de beaux pâturages semés çà et là de grands acacias à fleur jaune ; des mimosas groupés en petits massifs forment des oasis d’ombre où viennent s’abriter les pintades. Plus loin, sur la rive nord, s’étend une plaine bordée de montagnes bleues ; des mokaalas aux feuilles en parasol, plantés indistinctement dans l’immensité, sont comme la bannière autour de laquelle se rallient et dorment les gnoos, les sassaybys (acronatus lunata) et les hartebests. Parfois des sauvages assez doux se laissent voir au passage, et quelque monstrueux rhinocéros met la caravane en émoi. Mais dès le lendemain matin, au-dessus des buissons, tout au haut d’un arbre, le capitaine Harris aperçoit une tête gracieuse qui se balance au bout d’un cou droit comme un pin : c’était the long sought giraffe, la giraffe après laquelle il avait si long-temps soupiré.