Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/229

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

se plaindre que de son importunité. De hardis trafiquans s’étaient plus d’une fois montrés à sa cour, et l’appât du gain arrêtait en lui les instincts sanguinaires.

La chasse aux éléphans est le privilége exclusif du souverain. Cependant il accorda volontiers aux deux Anglais la permission de se livrer à ce plaisir de prince ; mais le point important était de pouvoir obtenir la liberté de retourner par la rivière Vaal, et aucun des interprètes n’osait faire cette demande à Moselekatse, parce que des émigrans avaient été, sur cette même route, surpris, pillés et massacrés par les Matabilis ; une armée venait d’être mise sur pied pour continuer la campagne contre d’autres colons, et Moselekatse éprouvait la plus grande répugnance à parler et à entendre parler de cette guerre sourde faite par les sauvages aux blancs de la contrée. Les wagons capturés sur le colon Érasmus et sur les siens étaient là, dans le kraal de Kapain. Malgré la défense faite par les deux voyageurs, les stupides Hottentots ne cessaient de questionner les passans, de leur demander des détails sur cette fatale expédition, et il eût suffi d’un mot sur ce sujet rapporté au roi pour encourir sa colère et s’exposer peut-être à éprouver le même sort, si la caravane s’obstinait à suivre le cours de Vaal River. Ainsi, d’une part, Moselekatse, avec toute l’adresse du sauvage, cherchait, par ses bonnes manières, à effacer l’impression fâcheuse que produisait parmi les blancs cette attaque accompagnée d’un massacre général ; de l’autre, feignant d’ignorer cet évènement capital, les voyageurs faisaient peu à peu des cadeaux au roi, achetant ainsi les promesses et, pour ainsi dire, les passeports qu’ils voulaient lui arracher.

Andries trahissait ses maîtres et les sacrifiait à la cupidité du Matabili ; il cherchait à décourager les gens de la troupe en leur faisant peur des flèches empoisonnées des Bushmans. Après avoir exigé successivement tout ce qui pouvait lui être accordé, Moselekatse voulut avoir la tente. Les chasseurs refusaient, se réservant ce cadeau comme un dernier moyen de triompher des répugnances du despote. Enfin, ennuyé sans doute de la présence de cette caravane, Moselekatse consentit à laisser partir le capitaine et sa troupe par la route désirée, et à leur fournir des guides comme sauve-garde, au cas où ils rencontreraient l’armée, qui revenait de son expédition, sous les ordres du ministre Kapili ; il consentit à tout cela pour une masse imposante de grains de verre ! La tente lui fut aussi cédée, et, tandis qu’il se complaisait à se coucher dans sa nouvelle maison, à essayer l’un après l’autre sur sa personne les cent colifichets dont il se