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sous les auspices du deputy-governor de sa majesté ; ce grotesque personnage, assis sur le devant des chariots, s’était emparé sans façon du cloak de Cœur-de-Lion, et le pauvre cuisinier, voyant son manteau frotter à nu la peau grasse et huileuse du sauvage, était le dernier à rire de cette familiarité. Un interprète converti par les missionnaires, Baba, accompagnait ce cortége, dont la marche n’était rien moins que triomphale, les Hottentots tremblant déjà de paraître devant Moselekatse.

Les villages matabilis sont formés de huttes rondes fort basses, disposées circulairement et adossées à une barrière d’épines haute de six pieds environ ; l’ouverture, par laquelle il faut entrer en rampant sur les genoux et sur les mains, est tournée en dedans, et donne sur une espèce de place circulaire aussi, qui sert de parc au bétail. Malgré la proximité de ces villages, assez considérables pour fournir cinq mille combattans, le gibier se montrait toujours abondant ; tantôt c’étaient de redoutables troupes de buffles assiégées dans les lacs, harcelées dans la plaine, tantôt des rhinocéros solitaires pris dans les labyrinthes de haies factices solidement enlacées, piéges infaillibles d’où la bête ne peut plus sortir.

Bientôt il fallut quitter la vallée et aborder les Kurrichanes Mountains, dont le versant est décoré de magnifiques arbres embellis de lianes élégantes qui là, comme dans tous les climats tropicaux, se suspendent en festons fleuris aux plus hautes branches, et balancent sur la tête du passant leurs thyrses embaumés. D’ailleurs, c’était alors le printemps dans l’hémisphère austral ; la pluie tombait par intervalle avec tant de force, que la terre imbibée donnait à toutes les racines une sève plus vigoureuse ; le tonnerre grondait ; l’atmosphère chaude favorisait aussi les développemens d’une végétation renouvelée. Des montagnes étagées en gradins, des vallons ombragés, des ruisseaux coulant à pleins bords, un ciel alternativement bleu et tacheté de nuages noirs pleins d’éclairs, que faut-il de plus pour compléter ces admirables paysages que le voyageur ému contemple avec reconnaissance, comme si la nature les avait composés exprès pour lui ?

Il y a douze ans qu’une populeuse cité de Baharootzis occupait ce versant ; les restes de cette tribu, détruite par Moselekatse, se sont dispersés dans les montagnes. Quelles terribles révolutions s’accomplissent inaperçues parmi ces sauvages, dont toute la politique consiste à s’exterminer les uns les autres ! Arrivés là, les chasseurs furent avertis par un héraut que sa majesté les recevrait le lendemain seulement, et qu’ils eussent à attendre. « Cet imbongo, chargé de pro-