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un regard presque humain sur ces féroces bipèdes. L’élan, égal en grosseur au bœuf bossu de Gouzerate, pèse environ deux mille ; il n’y avait pas un sauvage assez fort pour porter la tête de celui dont parle le capitaine. La chair de l’élan est, dans toute l’Afrique, plus estimée que celle d’aucun autre quadrupède ; la femelle, plus mince et moins haute que le mâle, a des bois comme lui.

La nuit, c’étaient des paniques générales : bœufs, chevaux, moutons, brisaient leurs cordes, s’échappaient, se jetaient confusément sous les voitures. Cœur-de-Lion se retranchait sur le sommet du chariot aux bagages, les Hottentots tiraient des coups de fusil ; au matin, on voyait quelques lions qui se retiraient tranquillement après avoir dévoré une demi-douzaine de brebis. Un des chevaux aima mieux retourner à sa ferme que de rester dans le désert exposé à ces attaques incessantes ; six mois après, les voyageurs le retrouvèrent à son écurie, à plus de cent soixante lieues de là. Rien ne prouve cependant qu’il eût retrouvé la boussole du capitaine Harris.

La caravane marchait toujours au nord vers la capitale de Moselekatse ; les naturels Batlapis et autres aidaient les chasseurs avec leurs meutes de chiens sauvages (hyœna œnatica), maigres bêtes allongées, assez semblables au chakal de l’Inde, et qui, comme lui, poursuivent le gibier par groupes organisés, par détachemens distincts. Le 15 octobre, les wagons traversaient le Molopo, limite occidentale des états de Moselekatse, rivière dont les bords verdoyans sont ombragés de touffes d’acacias ; de grands et épais roseaux empiètent sur le lit de ce petit fleuve, et recèlent des hippopotames qui ne manquèrent pas d’allonger leur horrible museau par-dessus la faible barrière disposée autour du camp. Là aussi se trouvent des gemsboks (oryx capensis), sans doute la fabuleuse licorne des anciens. Enfin, ce même jour, le capitaine fit rencontre de trois rhinocéros se promenant de compagnie, tandis que M. Richardson recevait la visite de cinq lions.

Le Parsi faisait bonne contenance au milieu de tous ces incidens ; Cœur-de-Lion pleurait jour et nuit, moins par la crainte des grandes bêtes du désert que parce qu’on approchait du terrible Moselekatse ; déjà même Andries était parti en avant pour porter un message au roi des Matabilis. Ce même jour, 19 octobre, la petite troupe, après avoir traversé une plaine couverte de cendres (on avait brûlé l’herbe sèche pour qu’elle se renouvelât plus vite), campa à deux lieues et demie de Mosega, près d’une ligne de lacs dans lesquels une douzaine de buffles sauvages prenaient leur bain, ne montrant que les naseaux et les yeux hors de l’eau.