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DU DROIT DE VISITE.

après l’adoption de l’amendement, s’il ratifierait ou non le traité, déclara qu’en présence du vote de la chambre, il ne le ratifierait point, tel du moins qu’il était conçu. Le refus de ratification fut en effet notifié au cabinet anglais, et celui-ci ne dut pas en être médiocrement blessé, car, dans le discours de la couronne prononcé à l’ouverture du parlement, la reine avait annoncé que c’était chose conclue, et que les cinq puissances avaient signé le traité. L’opposition, dans la chambre des communes, en fit un sujet d’interpellation. Le ministre des affaires étrangères du dernier cabinet demanda au premier ministre s’il était vrai que la France refusât de ratifier le traité. Ce refus ne lui paraissait pas probable, parce qu’aucune des circonstances qui autorisent un refus de ratification ne se rencontrait en cette occasion. Le représentant de la France signataire du traité n’avait pas agi sans autorisation ; il n’avait pas dépassé ses pouvoirs. La France, au contraire, s’était unie à l’Angleterre pour proposer ce traité aux trois autres puissances, et rien n’avait été fait que de concert avec elle. M. Peel répondit qu’il conservait en effet l’espoir que le traité serait ratifié, et que le protocole restait ouvert pour recevoir la signature de la France, quand elle jugerait à propos de la donner.

Les chambres se séparèrent dans cette situation, et peu après parut une lettre du ministre des affaires étrangères d’Angleterre au conseil de l’amirauté, par laquelle, informé que des violences étaient commises par la marine anglaise dans l’exercice du droit de visite, il chargeait le conseil de donner des instructions aux commandans des croisières, pour qu’ils agissent avec plus de modération. C’était reconnaître la justice des plaintes portées dans les chambres françaises. Le dernier cabinet, de qui ces croisières tenaient leurs instructions, se plaignit amèrement de ce que ses successeurs condamnaient aussi légèrement la marine anglaise et la livraient à l’animadversion des étrangers ; on lui répondit que les juges de la couronne consultés avaient jugé ses instructions illégales, et que le devoir de ses successeurs avait été de réparer le mal qu’il avait fait. Cet acte du cabinet anglais, fait à bonne intention, tourna contre son but, parce qu’il fit sentir le défaut d’égalité dans l’association des deux marines anglaise et française. Qu’était-ce, en effet, pour celle-ci, qu’une justice et une modération qui dépendaient du bon vouloir de l’autre, et qui étaient subordonnées au caractère hostile ou bienveillant du ministre qui occupait le pouvoir ? La France ne pouvait être flattée de se trouver dans une position semblable.