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Dieu n’existe que dans le monde. Qu’est-ce à dire ? Ainsi les désordres et les fléaux de la nature, ainsi les querelles, les haines, les malheurs qui remplissent l’histoire, tout cela, ce sont les discordes intestines, les tragiques aventures de Dieu. Nos regrets, nos craintes, nos espérances déçues, notre train de guerre enfin et d’agitations sans trêve, et la suprême tristesse de la mort pour consoler tant d’ennuis, ce n’est pas notre destinée seulement : Dieu a composé sa vie de toutes les nôtres et réunit dans la sienne toutes leurs afflictions. Ce secret soupir ou cette haute lamentation qui monte sans cesse de la terre, cette plainte, c’est la voix de Dieu. Le temps, qui ne donne que pour ravir, qui mêle à toutes nos joies une menace, à toutes nos fêtes une alarme, cette inquiète et triste durée des êtres qui passent et souffrent, est aussi celle de Dieu, et chaque minute lui mesure, comme à l’homme, quelque nouvelle douleur. Le christianisme annonce également, il est vrai, un Dieu martyr chargé de nos souffrances, courbé sous nos fardeaux ; mais ses misères viennent de notre libre chute et non pas de lui il ne les a connues que par compassion, et réussit à les terminer. Dans le panthéisme, elles ont Dieu pour auteur : s’il en souffre, c’est par sa faute ; s’il cherche à s’en relever, c’est pour lui-même. Il était le maître de l’existence et n’a pas mieux su l’instituer. Ce qui est charité sur la croix, ici devient impuissance ou impéritie. Et tout cela en vain : emprisonné dans le fini, Dieu a beau faire, il ne réalisera jamais le rêve d’infini qui le tourmente, et ce rêve désenchantera tous les bonheurs. Altéré d’une soif brûlante de lui-même, il ne pourra jamais l’étancher ; il s’est condamné à l’éternel supplice d’un désir toujours inexaucé, d’un espoir toujours détrompé. Le panthéisme promet à la terre les félicités divines, et il ne fait qu’éterniser en Dieu nos infortunes et les rendre ainsi sans ressources en celui-là qui seul les pouvait terminer. Il croit ennoblir l’univers ; il ne réussit qu’à dégrader Dieu.

Il semble nous enivrer de Dieu, nous le prodiguer en toutes choses. Encore ici il nous abuse. Je me mets à chercher son Dieu ; je ne dois le demander qu’aux choses finies, et toujours la même contradiction. En elles, ce n’est pas le Dieu vrai, l’infini, ce ne sont que faux semblans de lui que je trouve. Elles me le dissimulent aussi bien qu’elles me le manifestent ; elles me le cachent autant qu’elles me le révèlent ; elles ne sont pas sa face, mais son masque. Je ne puis chercher Dieu que dans ce qui n’est pas lui ; il ne se donne à moi que dans ce qui me le refuse. Comment donc le trouver ? Tout