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sentir.— Donnez-nous, disaient les états du sud, un moyen d’écouler les cotons, les tabacs, les riz qui remplissent nos magasins, car si nous ne vendons pas nos récoltes, avec quoi voulez-vous que nous fassions nos cultures, que nous habillions nos esclaves et que nous les nourrissions ? Quel plus grand mal pourraient nous faire nos ennemis que celui que nous nous faisons nous-mêmes ? Le congrès, institué pour nous protéger, n’a pas le droit de nous empêcher de vivre. Qu’il renonce à ses mesures, ou nous ne prendrons conseil que de la nécessité, et du droit naturel, plus fort que toutes ses lois. »

Ce concert de plaintes, accompagné de menaces de séparation, ne permit pas de renouveler purement et simplement le bill d’embargo. On le remplaça par le bill de non-intercourse, qui défendait pendant un an le commerce avec la France et l’Angleterre seulement, et déclarait que si, dans ce délai, l’un ou l’autre pays révoquait ses mesures, les relations reprendraient immédiatement avec lui et resteraient interdites avec l’autre ; et, pour faire preuve d’impartialité envers eux en les mettant sur un pied d’égalité, le bill interdit aux bâtimens de guerre français, comme à ceux de l’Angleterre, l’entrée des ports des États-Unis et la navigation dans leurs eaux.

Ce bill parut un moment avoir atteint son but. Le ministre d’Angleterre aux États-Unis, séduit par l’espèce de prime qu’il offrait à celle des deux nations qui se départirait la première de ses mesures de rigueur contre les neutres, signa un traité qui révoquait les ordres du conseil à l’égard des États-Unis, et leur donnait en même temps satisfaction sur l’affaire de la Chesapeake. Cette nouvelle, annoncée par une proclamation du président, causa une vive joie, mais qui fut de courte durée. Le cabinet anglais refusa de ratifier le traité ; son ministre, dit-il, avait agi sans autorisation ; il était prêt à accorder satisfaction pour l’affaire de la Chesapeake, si les États-Unis voulaient, de leur côté, renoncer à leurs actes hostiles contre le commerce et la marine de l’Angleterre, mais il n’abandonnerait jamais des droits d’où dépendaient la sûreté et l’existence même du pays.

Napoléon, de son côté, se plaignit amèrement de ce que, sous prétexte d’impartialité, on avait étendu à la France des mesures auxquelles elle n’avait pas fourni de motif, et il rendit son décret de Rambouillet, par lequel, usant de représailles, il fermait aux bâtimens de guerre et de commerce des États-Unis tous les ports de la France et des pays occupés par ses armées[1]. Il eut recours en même temps,

  1. 23 novembre 1809.