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pétuelle succession de personnes sans nombre ; que s’il se réalise, en un mot, dans la nature et l’humanité, et ne se réalise qu’en elles. Il ne faut donc le chercher que là ; il ne se trouve nulle part ailleurs. Le développement du monde n’est pour Hégel que le développement même de la raison absolue. Il avait dans sa logique déterminé ce développement. Les phases que l’idée absolue parcourt, depuis le concept le plus pauvre jusqu’au plus riche, devenaient ainsi les phases du monde, et s’exprimaient dans les époques de la nature et dans celles de l’histoire. La raison absolue a dans la nature perdu la conscience d’elle-même ; elle y est aveugle, et comme aliénée et irraisonnable. Durant une suite incalculable de tristes siècles, il n’y eut que des solitudes effrayées de leur déserte immensité et le combat titanique des forces élémentaires. Nulle part encore un spectateur intelligent de ces anciens évènemens de l’univers. La raison absolue devait se relever de cette chute, redevenir maîtresse d’elle-même, prendre une forme nouvelle et supérieure, où elle arriverait à la conscience de soi. Cette forme est l’humanité.

Ce n’est point dans l’homme, c’est dans l’humanité, ce n’est point dans l’individu, c’est dans l’espèce que la raison divine se manifeste comme absolue. Les individus nécessairement limités ne peuvent réaliser Dieu ; ils n’existent cependant que pour cela ; ils doivent donc tous passer. Après avoir un moment duré, ils disparaissent à jamais ; la mort est pour eux l’anéantissement. L’humanité seule survit à toutes ces destructions.

La raison absolue se manifeste en elle sous la triple forme de l’art, de la religion, de la philosophie. Ce sont là les trois grandes époques de l’histoire de Dieu. L’absolu se manifeste dans l’art par la beauté, sous une forme visible. Mais la raison absolue est esprit : cette manifestation sensible ne lui suffit pas. Dans la religion, Dieu apparaît comme esprit ; mais ce n’est pas la raison absolue qui se connaît elle-même : c’est un homme, une pensée subjective qui la contemple et se distingue d’elle ; ce n’est pas encore Dieu qui se connaît comme Dieu. Il reste un progrès à faire : il s’achève dans la philosophie. En effet, dans l’esprit du philosophe qui s’élève au-dessus de tout ce qui est subjectif jusqu’à la raison absolue, et la pense au moyen d’elle-même, cette raison, en d’autres termes Dieu, prend conscience de soi ; il se contemple enfin face à face. La philosophie n’accomplit pas un moindre mystère ; elle est, dans le système de Hégel, la réalisation suprême de Dieu, son véritable avènement dans l’univers. Dès-lors l’humanité n’a qu’à s’émanciper de la religion, qu’à s’ordonner