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REVUE. — CHRONIQUE.

dans le domaine de l’art. Il n’est peut-être aucune littérature qui ne surpasse celle-ci par la régularité, l’ordre, la tempérance, mais il n’en est point aussi qui l’égale dans ce débordement de l’ame, dans ce sentiment exalté de la réalité, dans cette sincérité de l’émotion qui a su ennoblir le ridicule même. La différence du génie italien et du génie espagnol est telle des vierges de Raphaël et de Murillo. Les premières, embellies par le génie de la Grèce et de la renaissance, ont toujours vécu sur les sommets les plus élevés de l’idéal ; leurs pieds ont à peine touché le sol, nul homme ne les a jamais rencontrées sur la terre. Les secondes sont nées en Castille et n’ont jamais vu d’autre pays. Leur ascétisme s’est exhalé sous les voûtes des églises de Séville et de Madrid ; dans leurs plus divines aspirations, vous reconnaissez les souvenirs de la patrie terrestre et les stigmates de l’amour humain.

En Italie, tout se tourne naturellement au récit et à l’épopée ; des quatre grands poètes qui font sa gloire, trois sont épiques ; dans cette vieille terre où la civilisation s’est développée d’une manière continue comme un discours non interrompu, à travers tant de sociétés diverses qui héritent les unes des autres, il semble que la forme naturelle, indigène de son génie, soit l’épopée ; tandis que le drame y est resté toujours plus ou moins artificiel. L’histoire même de l’Italie est une sorte d’épopée dont les époques étrusque, romaine, catholique, se succédant sans intervalles, et pour ainsi dire sans contradiction, les unes aux autres, forment les parties. Au contraire, en Espagne, tout aboutit au drame ; c’est là le moule naturel, dans lequel s’exprime le génie espagnol. Tant d’élémens contradictoires, de croyances inconciliables, de populations ennemies, le Goth contre le Romain, l’Espagnol contre l’Arabe, le christianisme contre l’islamisme, tant d’instincts opposés aux prises, qui n’ont jamais pu rien s’accorder les uns aux autres, quoique perpétuellement en présence les uns des autres, tout cela fait de son histoire une sorte de dialogue à travers les siècles, une intrigue pleine de mystères, d’alternatives diverses, un drame éternel dont les deux grands acteurs sont le Christ et Mahomet. Dans cette longue tragédie de cape et d’épée qui dure un millier d’années, les fils sont si bien noués par la Providence, qu’il vous est impossible de prévoir le dénouement, car les choses ne se meuvent pas là, comme en Italie, en vertu d’une loi évidente de développement ; elles se choquent, se heurtent, se brisent de manière à déconcerter toujours l’esprit humain et à le faire marcher d’étonnement en étonnement. D’abord le mahométisme occupe toute la scène, excepté ce point unique des Asturies ; mais au moment où il semble qu’il a vaincu et que la pièce est finie, c’est lui qui commence à reculer, pendant cinq cents ans, jusque dans les murs de Grenade ; c’est le christianisme dépouillé, asservi, qui, par un changement subit, triomphe dans l’Alhambra.

Voulez-vous d’autres exemples de ces péripéties, de ces contradictions dramatiques dans la vie de ce peuple ? Je le répète, son histoire en est remplie. Où vont aboutir les libertés de ses cortès en se développant de plus en plus ? Au règne de Philippe II, c’est-à-dire à la servilité la plus absolue qui fut