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tère : c’est le moment où le jeune Palestrina, dans la messe de Marcel, rend au culte les accens de l’église primitive et les cris de douleur du Calvaire. Quant au poète qui représente cette époque de réaction religieuse dans le Midi, je n’ai pas besoin de nommer le Tasse. Il puise son sujet au cœur même de l’église ; ce que M. de Châteaubriand a fait en France après la révolution, le Tasse l’a fait en Italie après la réforme. Reniant, autant qu’il le peut, les inventions demi-profanes de l’âge précédent, il veut ramener les beautés éclipsées du christianisme ; et je ne puis m’empêcher de remarquer qu’une grande partie de la vie de ce poète coïncide avec l’époque du concile de Trente, que les premières impressions, ou pour mieux dire l’éducation de sa pensée, ont été soumises au spectacle de cette assemblée solennelle, qui pendant dix-huit ans s’est efforcée, sous les yeux de l’Europe, de rendre à l’église et à la papauté le prestige et l’autorité des premiers siècles. La Jérusalem délivrée répond ainsi au mouvement imprimé dans l’Europe méridionale par le concile de Trente ; œuvre de réaction, d’expiation après le paganisme des premiers temps de la renaissance. Le poète, tourmenté par le scrupule, veut refaire son poème pour le marquer davantage du génie de l’église. Terrible lutte d’un homme avec son œuvre ! Partagé entre l’Olympe et le Calvaire, entre Homère et l’Évangile, entre le paganisme et le christianisme, son esprit vacille ; par momens il s’égare dans ce combat ; lui-même il est la victime des fantômes demi-païens que son génie a évoqués. Dans sa longue prison, entouré de ces spectres glorieux qu’il ne peut ni avouer ni détruire, savez-vous quel est le trait principal de sa folie ? Le Tasse se croit damné ; il veut chaque jour se confesser. À travers les barreaux de sa fenêtre, on l’entend appeler à grands cris la Madone, pour qu’elle vienne effacer la trace de ses propres inventions. Au lieu de la Madone, ses yeux hagards n’aperçoivent que les fantômes adorés de Clorinde et d’Herminie.

Les rapports de la poésie et du christianisme, en Italie, peuvent se marquer par un mot. Au commencement, Dante s’inspire du dogme même. Pétrarque change le dogme, en adressant à la créature le culte imaginé pour le créateur ; Laure prend la place de la Madone. Arioste s’éloigne davantage de l’origine sacrée de la poésie ; chez lui, je ne vois plus rien du génie de l’Évangile. Par un retour subit, le Tasse revient au point de départ, et le cercle de la poésie italienne est fermé pour long-temps ; après avoir épuisé tous les chemins qui l’éloignaient de l’église, voilà l’homme rentré brusquement et comme par surprise dans le Dieu de Jérusalem.

Par une loi générale, qui n’a pas manqué à l’Italie, quand la poésie décline, l’âge de la philosophie commence. Les prisons de Galilée, de Campanella, les bûchers de Vanini, de Giordano Bruno, signalent les vengeances et les appréhensions de la papauté restaurée ; toute l’énergie de l’Italie se retire dans ces ames exaltées. Le danger les inspire. La philosophie a désormais ses martyrs comme la religion. Rien n’est émouvant comme le spectacle de ce petit nombre d’hommes audacieux qui portent le défi à l’immutabilité de la papauté jusqu’au pied de son trône ; lors même que tout n’est pas nouveau dans