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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

métaphysique. Il n’y est plus vrai, car, dans l’ordre de la raison, c’est, comme nous l’avons vu, le contraire qui dérive du contraire, et non plus le même du même. Le contraire est un terme moyen entre l’identité et la contradiction ; il échappe aux deux axiomes de l’ancienne logique, et ne relève pas de sa juridiction.

Le résultat de tout ceci est important. Les philosophies qui suivent l’ancienne logique, et c’est le cas encore aujourd’hui, en France, de nos écoles les plus accréditées, transportent à la science de l’infini les principes qui ne conviennent qu’à la science du fini. Cette erreur radicale leur est commune à toutes : elles procèdent par l’analyse de la raison et par le syllogisme ; mais l’analyse décompose les objets et isole les termes qu’elle distingue, le syllogisme déduit le même du même. Il faut suivre en métaphysique la route opposée : on doit procéder par la dialectique, qui, à l’inverse de l’analyse, enchaîne les concepts et les distingue sans les désunir, et, à l’inverse du syllogisme, déduit le contraire du contraire. Hégel abat ainsi d’un coup de faux tous les systèmes dus à une autre méthode. Il a découvert la logique de l’infini ; l’ancienne logique n’est que celle du fini.

Hégel fut, du reste, exclusif comme tous les réformateurs. La nouvelle logique devint tout pour lui. Il n’y vit plus seulement les formes éternelles de la pensée de l’être : il y vit l’être lui-même, il la prit pour Dieu. Il introduit à son système par sa Phénoménologie, et elle montre le chemin qui l’a conduit à cette capitale erreur. Dans ce bel ouvrage, il se place au point de vue immédiat où nous sommes des choses ; il examine successivement la perception sensible, l’entendement, tous les moyens de connaissance qui, en quelque manière, sont subjectifs. En tous, il découvre et signale une contradiction. Ils ne donnent donc que le fini, c’est-à-dire ce qui est imparfait, passager, apparent. La logique, qui seule s’élève au-dessus de toutes les contradictions, donne seule aussi l’infini, c’est-à-dire l’être, la vérité, Dieu. Dieu, en tant qu’infini, ne peut, d’après Hégel, être personnel : ces deux idées s’excluent, car chaque personnalité se distingue de toutes les autres, et par là devient déterminée, limitée, finie. Mais voici une double difficulté. D’une part, l’indéterminé n’existe pas ; de l’autre, Dieu est la raison absolue, et la raison n’est vraiment raison que si elle a conscience d’elle-même. Or, cette conscience suppose la personnalité. Comment résoudre ces contradictions ? On ne le peut que si Dieu se réalise, non point dans une forme infinie, ce qui est un non-sens, mais dans l’infinie variété des formes finies ; non point dans une personnalité unique, mais dans une per-