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donnait à entendre qu’elle aurait plus tard à entretenir les chambres de sujets plus nombreux et plus variés ; on ajoute que le ministère ne peut, sans s’abaisser, avoir l’air de refuser le combat. Les conservateurs n’aiment pas, dit-on, que leurs chefs paraissent ainsi douter d’eux-mêmes et ne pas compter sur l’union, la fermeté et le dévouement du parti ; le ministère ne peut mécontenter ses amis.

Ces argumens, le dernier surtout, ne sont pas sans force ; peut-être même paraissent-ils décisifs à ceux qui se placent uniquement au point de vue de l’intérêt ministériel.

Reste à savoir quel est, dans la question, l’intérêt du pays. Qu’arrivera-t-il, nous disait un homme politique, si la couronne nous apporte un discours ? La session s’ouvre vers la moitié de janvier ; nous toucherons au mois de mars sans que la chambre des députés ait fait autre chose qu’élaborer au sein d’une commission et discuter ensuite une adresse : alors, épuisée, fatiguée, et en même temps accoutumée à ces débats personnels, dramatiques, pleins d’émotion, c’est en vain qu’on l’appellera aux affaires, aux discussions paisibles et sérieuses, à l’action parlementaire, qui seule profite au pays. Alors tout traîne, tout languit ; les lois les plus importantes sont ajournées et imparfaitement discutées. La fin de mai arrive, l’impatience saisit les députés, et, en définitive, la session ne donne guère d’autres résultats qu’une adresse et un budget. Et cependant que de lois importantes que le pays attend depuis long-temps, qu’on lui promet chaque année, et qu’il ne voit jamais apparaître : les sucres, la réforme des prisons, le régime colonial, l’instruction secondaire, la colonisation africaine, le notariat, le régime hypothécaire, que sais-je ? Tout est annoncé, rien ne se fait ; on dirait que la question importante pour le pays n’est plus de savoir comment il sera gouverné, mais par qui, et que les députés sont élus, bien moins pour participer au gouvernement du pays que pour faire la fortune politique de quelques-uns de leurs collègues. La question ministérielle, ajoutait-on, peut toujours s’élever, mais il est bon qu’elle s’élève au sujet d’une loi présentée, d’une mesure proposée. Nous avons dénaturé la discussion de l’adresse. Les Anglais, esprits très positifs et économes de leur temps, se bornent à un ou deux points capitaux ; tous les efforts des partis se concentrent sur ce terrain délimité ; c’est un duel prompt et décisif. Chez nous, c’est un combat désordonné de tirailleurs, sans plan, sans chef, l’un ici, l’autre là ; chacun choisit ses armes, son terrain, son moment. Il n’est pas de question, soit de politique, soit d’affaires, qui ne soit abordée. On ne consulte ni les convenances du pays, ni les exigences du gouvernement, ni même les intérêts de son propre parti. Coûte que coûte, on veut parler, discuter, voir son nom dans le Moniteur. Que dis-je parler, discuter ? il faut dire, pour maints orateurs, lire et mal lire. Et le pays est condamné pendant ces longues journées à d’interminables psalmodies que nul n’écoute, que nul ne lit, et qui certes n’ont jamais éclairci la moindre question. Puisque l’adresse est devenue le prétexte de toutes ces divagations, on peut s’y résigner lorsque l’usage et la nécessité le commandent ; mais pour-