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Personne ne méconnaîtra le génie qu’il a fallu pour surprendre ainsi dans les profondeurs les plus secrètes de la pensée son jeu et son mouvement, pour dérober le mystère de ses origines. Dans ce système, chose rare, il y a une découverte. Cette logique s’imposera à l’esprit humain et fera le tour du monde. Hégel a sa place, non pas parmi ces brillans génies, ces poètes de l’intelligence que l’on nomme Platon, Malebranche ou Leibnitz, mais dans une assemblée moins nombreuse et plus austère, parmi les législateurs de la pensée, parmi ceux qui ont retrouvé quelques fragmens de son code, auprès d’Aristote, de Bacon et de Kant.

Hégel n’a cependant pas achevé l’œuvre : il s’est trompé plus d’une fois ; il n’a pas toujours bien ordonné et bien déduit nos concepts. La moindre erreur a ici de graves conséquences, puisqu’il s’agit des idées universelles de la raison. C’est un trait de plume dans le conseil d’un prince : il décide du sort des états.

La logique de Hégel va révolutionner la pensée ; elle est déjà devenue une arme redoutable de combat et de destruction. Les principes de contradiction et d’identité sont les deux principes de l’ancienne logique. On ne peut contester leur vérité, mais ils ne sont d’usage que dans le domaine de l’expérience et du monde sensible. Le principe de contradiction suppose des termes contradictoires entre lesquels on est forcé de choisir ; il faut accepter l’un, rejeter l’autre. Mais deux termes qui s’excluent sont nécessairement tous deux finis, car aucun ne comprend tout en soi. Le principe de contradiction ne dépasse donc pas le fini. Or, le fini ne se suffit pas à lui-même ; il ne peut se concevoir, et par conséquent s’expliquer que par l’infini. C’est cette science suprême que donne la métaphysique. Le principe de contradiction, ne s’appliquant pas à l’infini, ne peut ici avoir d’usage. Cela est si vrai, qu’il dénature les concepts quand il s’applique à eux. Il les suppose contradictoires, c’est-à-dire absolument incompatibles, et cependant les concepts ne sont que des termes contraires. Loin de s’exclure, ils s’exigent mutuellement. Il est tellement impossible d’isoler un concept, que, lorsqu’on l’essaie, il se transforme aussitôt en ce contraire dont on voulait le séparer. Isolez l’infini du fini, l’infini ne renferme plus alors le fini en soi, le fini demeure hors de lui : l’infini n’est donc pas tout, il devient limité, il devient fini. Isolez le fini de l’infini, le fini peut alors se concevoir par lui-même, il se suffit donc ; mais ce qui se suffit est inconditionnel, absolu : voilà le fini qui devient l’infini.

Le principe d’identité ne trouve pas davantage une application en