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TRAVAIL DES ENFANS DANS LES MINES.

aucun profit de leurs peines : ce sont des orphelins, des enfans pauvres dont la paroisse, à la charge desquels l’indigence les a placés, se délivre en les cédant comme apprentis à des ouvriers mineurs. Il y a beaucoup de ces apprentis dans le Lancashire, le Yorkshire et l’ouest de l’Écosse, mais c’est dans le Staffordshire que le nombre en est le plus considérable. Le sous-commissaire chargé de l’inspection de ce comté dit dans son rapport que les maisons de travail centrales (union work-houses), ces asiles que la loi des pauvres de 1835 a ouverts aux indigens, envoient tous leurs enfans aux mines. Des maîtres-ouvriers les prennent avec eux et les gardent en apprentissage jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de vingt-un ans. Quoiqu’il soit reconnu que, pour les travaux de mineurs, il n’est pas besoin d’apprentissage, leurs maîtres retiennent les salaires qu’ils peuvent gagner, et subviennent à peine aux modiques frais de leur entretien et de leur nourriture. Il serait difficile de s’imaginer tous les mauvais traitemens que ces infortunés ont à subir. « Ce sont les apprentis des maîtres-ouvriers, disait un mineur du Staffordshire[1], qui sont de tous les enfans les plus maltraités. On les fait aller où on ne voudrait pas envoyer ses propres enfans, et, s’ils refusent d’obéir, on les bat et on les conduit ensuite devant les magistrats, qui les envoient en prison. » Dans le Yorkshire, un de ces apprentis, Thomas Moorhouse, raconte ainsi au commissaire qui l’interroge sa triste histoire : « Je ne sais pas l’âge que j’ai ; mon père est mort, ma mère aussi, je ne sais pas combien il y a de temps. Je suis entré dans la mine à l’âge de neuf ans, ma mère m’avait mis en apprentissage jusqu’à l’âge de vingt-un ans ; mais je ne sais pas depuis combien de temps j’y suis : il y a long-temps. Mon maître s’était engagé à me nourrir et à me vêtir ; il me donnait de vieux habits qu’il achetait chez les chiffonniers, et je n’avais jamais assez pour apaiser ma faim. Je le quittai parce qu’il me maltraitait ; deux fois il m’a frappé à la poitrine avec sa pioche. (Ici, dit le commissaire, je fis déshabiller l’enfant et je trouvai en effet sur sa poitrine une large cicatrice indiquant une blessure faite avec un instrument tranchant ; il avait aussi sur le corps plus de vingt blessures qu’il s’était faites en poussant les chariots de charbon dans les galeries basses). Mon maître me battait tant et me traitait si mal, que je résolus de le quitter et de chercher une meilleure condition. Pendant long-temps je dormis dans les puits abandonnés ou dans les cabanes qui sont au bord des puits exploités ; je ne mangeais que les bouts de chandelle que les ouvriers avaient laissés dans les travaux[2]. »

Parmi les faits nombreux recueillis par l’enquête qui peignent la cruauté et même la férocité des mineurs à l’égard de ces pauvres enfans, je choisis le suivant : « Dans le Lancashire, rapporte M. Kennedy, un enfant fut amené au docteur Mimer, médecin de Rochdale. Il l’examina et trouva sur son corps vingt-six blessures. Ses reins et toute la partie postérieure de son

  1. Dr Mitchell’s Evidence, no 11, p. 67.
  2. Scriven’s Evidence, no 38, part. II, p. 118.