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la population manufacturière, qui grandit sans cesse non-seulement par son propre développement, mais en se recrutant chaque jour parmi les ouvriers de l’agriculture. Le prolétariat de la grande industrie est bien différent du prolétariat agricole. Il est groupé par grandes masses sur quelques points. Ses travailleurs se rencontrent souvent réunis par centaines dans la même fabrique, et quelquefois par milliers. Ils composent, dans les centres où les intérêts commerciaux les rassemblent, de formidables garnisons industrielles, uniformément disciplinées par la régularité des mêmes travaux. Les chiffres à cet égard sont menaçans. Sans parler des grandes villes, de Manchester, de Birmingham, où l’on rencontre 50,000, 60,000 ouvriers, on en compte à Leeds, par exemple, 10,000 employés seulement à la manufacture du drap ; dans la commune de Macclesfield, 6,000 employés au coton, 1,000 à la soie et 5,000 aux tissus de soie et coton ; à Spitafields, les soieries occupent 5,000 ouvriers ; les rubans, 2,000 à Coventry. Il y en a 12,000 à Halifax pour le drap, 7,000 à Bradford ; dans la petite ville de Paisley (Renfrewshire, en Écosse), 6,000 ouvriers travaillent à la filature de coton ; la même industrie en occupe 20,000 à Glasgow. Dans les trois cantons d’Ugbrigg, de Morley et de Sheprack, dans le West-Riding du Yorkshire, 68,000 ouvriers adultes sont employés à la fabrication du drap, etc.[1]. En somme, le nombre des ouvriers des grandes manufactures dépasse 400,000. Leurs conditions d’existence sont liées à un petit nombre d’industries, celles du coton, de la laine, des soies, du lin, de la quincaillerie, des mines, pour ne citer que les principales. Les travaux des mines de houille, par exemple, emploient 135,000 personnes ; l’industrie des fers, 70,000 ; celle des laines, 100,000 ; celle des soies, 200,000 ; celle des lins, 30,000 ; le filage et le tissage du coton, 220,000[2]. Les souffrances de ce petit nombre d’industries touchent à un très grand nombre d’existences ; mais l’agitation que les fluctuations commerciales peuvent produire devient bien plus redoutable, lorsque la crise ébranle l’industrie tout entière, lorsqu’une commotion fatale jette la perturbation dans toutes les affaires, et, ce qui augmente encore la gravité de cette considération, une expérience de près d’un demi-siècle prouve qu’au moins une année sur cinq ramène périodiquement ce terrible dérangement dans la machine économique de l’Angleterre. À ces difficiles époques, lorsque le plus grand nombre des fabriques se ferment, lorsque les autres sont forcées de diminuer leurs pertes par la diminution des salaires, la faim réveille au sein des populations manufacturières les questions les plus brûlantes. Elles s’interrogent sur les causes de leurs maux : s’inquiétant peu des circonstances accidentelles et fatales qui les ont amenés, elles croient les voir là où les leur montrent les démagogues, dans la constitution du pays, dans la direction générale du gouvernement. Elles prennent alors une attitude politique. C’est ainsi que l’établissement de

  1. Andrew Ure, Philosophy of Manufactures, part. I, chap. III. Statistics.
  2. Mac-Culloch’s Statistical Account of the British Empire, tom. I, part. III. Industry of the British Empire.