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REVUE. — CHRONIQUE.

le succès, c’est celle qui sera faite pour la réaliser. Jusqu’à ce que les circonstances aient mis le parlement en mesure de l’accomplir, on peut prédire, sans crainte d’être démenti par les évènemens, que le gouvernement restera impuissant et tiraillé, plus dominé par les exigences de ses amis que par celles de ses adversaires eux-mêmes, et que la majorité, sans foi dans l’avenir autant qu’incapable de s’assimiler des élémens nouveaux, s’affaiblira chaque jour dans la chambre et dans l’opinion. Réunir les deux centres dans un symbole commun par un ministère de transaction, telle est donc la question capitale, et elle restera posée pendant tout le cours de la législature actuelle.

À l’ouverture de la session, cette question était admirablement comprise. Il n’était pas une conversation de couloir entre les membres intelligens de la majorité qui n’attestât de leur part une disposition très vive à entrer dans cette voie de conciliation et de prudence. Un esprit moins exclusif au dedans, une politique plus nationale et plus ferme au dehors, c’était là, si l’on peut le dire, le lieu-commun de toutes les conversations. Vingt-huit ou trente membres de la majorité s’étaient formellement engagés à se détacher du cabinet dans le vote des fonds secrets, et à frayer ainsi la route à une combinaison nouvelle. La force des choses plaçait nécessairement celle-ci sous le patronage de l’homme d’état éminent dont le premier acte politique au dedans avait été l’amnistie, et qui, en 1830, avait notifié à l’Europe à quelles conditions la France entendait accepter la paix. La position prise par M. de Salvandy vis-à-vis du cabinet, dès la session dernière, dans la discussion du droit de visite, position que des circonstances nouvelles avaient dessinée d’une manière plus nette encore, autorisait pleinement à croire que son concours ne manquerait point au chef du cabinet du 15 avril ; sur le banc ministériel même, il était tel membre, parmi les plus estimables et les plus considérés, que sa conviction sur l’une des principales questions du moment rattachait pour ainsi dire d’avance à la combinaison nouvelle, et qui n’acceptait que par point d’honneur une solidarité à laquelle il avait été très récemment associé. Comment ne pas espérer également que l’honorable et éloquent rapporteur de l’adresse voudrait substituer une politique plus française à celle qu’il venait de flétrir par des paroles si dures et si amères ? Comment croire que des épigrammes suffiraient à tant de patriotisme et à une si chaleureuse indignation ? Ce n’étaient pas MM. de Carné, de Chasseloup et de Lagrange, les seuls qui aient donné publiquement à leur parti l’exemple d’une trop rare persévérance, qui appuyaient seuls dans les centres le projet d’un cabinet de transaction sous la présidence de M. le comte Molé, et dans lequel le principe conservateur aurait été représenté par MM. Dupin et de Salvandy. Si ces honorables membres étaient les plus fermes dans leurs convictions, ils n’étaient certes ni les plus chaleureux dans leurs paroles, ni les plus actifs dans leurs démarches, ni les plus passionnés dans leurs agressions. L’édifice de la majorité, atteint dans ses fondemens, tombait pour ainsi dire pierre par pierre ; la défection, pour employer un mot qui cessait alors et qui bientôt encore cessera d’être une injure, la défection avait envahi les rangs des fonctionnaires de l’ordre judi-