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REVUE. — CHRONIQUE.

ces deux tendances, de ces deux dispositions d’esprit, laquelle préférer ? Nous voulons d’autant moins réveiller les causes d’irritation, que nous aurions l’air de songer à notre propre apologie. Notre appui n’a pas manqué à l’administration de M. Thiers, et nous ne sommes nullement disposés à nous en repentir. Cette question de préférence est loin d’être la question importante, essentielle ; car il est peut-être vrai de dire que l’une et l’autre tendance, isolément prise et entièrement livrée à elle-même, a ses inconvéniens et ses dangers. Qu’on se rappelle les jours, hélas ! bien loin de nous désormais, où ces deux tendances vivaient ensemble et se tempéraient l’une l’autre ; qu’on compare cette époque que l’histoire appellera glorieuse, et que les contemporains, presque toujours ingrats et oublieux, ont trop perdue de vue, qu’on la compare, dis-je, aux temps postérieurs, et qu’on juge.

Quoi qu’il en soit, les deux nuances existent, elles existeront toujours dans le parti conservateur comme dans les deux autres partis. La question pour nous n’est pas là. La question est de savoir si la nuance qu’on appelle centre gauche marchera avec le gouvernement ou avec l’opposition. Si elle fait cause commune avec l’opposition, il n’y a ni sûreté pour l’administration ni dignité pour les partis. C’est une fausse situation que tout le monde a intérêt à faire cesser. Le parti gouvernemental ne peut se mutiler impunément. C’est là une vérité évidente pour tout homme sérieux et désintéressé. Cette mutilation serait un péril permanent pour le ministère actuel, un péril aussi pour le ministère qui lui succéderait. En vérité, nous avons assez joué avec la chose publique, assez satisfait de petites passions, de petites rancunes et de petits intérêts. Il serait temps d’en finir et de songer à la France. Nous le disons également aux hommes du centre droit et aux hommes du centre gauche, à ceux qui voudraient le monopole des principes conservateurs, comme à ceux qui, irrités, arborent un drapeau qui en réalité n’a jamais été leur drapeau et ne le sera jamais.

Les bureaux de la chambre des députés ont autorisé la lecture de deux propositions importantes faites par deux hommes des plus honorables et des plus distingués par leurs lumières et leur désintéressement politique. M. de Sade et M. Duvergier de Hauranne.

M. de Sade propose d’interdire aux députés, pendant la durée de leur mission et un an après, l’acceptation de toute nouvelle fonction publique ainsi que tout avancement ou promotion. Il en excepte seulement les avancemens dans la carrière militaire par droit d’ancienneté et certaines fonctions politiques. N’est-ce pas dire aux électeurs : vous êtes les complices de vos députés, vous secondez leur ambition ou leur cupidité dans l’espoir qu’à leur tour ils feront vos affaires aux dépens du pays, en vous sacrifiant l’intérêt général ? car aujourd’hui tout député nommé ou promu à des fonctions publiques est sujet à réélection, ou, à mieux dire, il cesse d’être député. S’il siége de nouveau dans la chambre, c’est que les électeurs l’ont voulu, qu’ils n’ont pas vu un motif d’exclusion dans la marque de distinction ou de faveur que le gouvernement lui a accordée. Il faut y réfléchir ; la proposition de M. de Sade se rattache à