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ont réussi au-delà de leur attente. Les chefs politiques, même les plus illustres et les plus habiles, ont toujours à lutter, quel que soit leur parti, avec les idées étroites et les sentimens vulgaires d’une foule de subalternes. Et, chose ridicule, mais vraie pourtant, vraie pour tous, dans toutes les opinions, les subalternes l’emportent souvent sur leur chef, et alors, comme on l’a dit, la queue mène la tête. Les fautes les plus graves sont commises par des hommes supérieurs, des fautes dont on aurait le droit de s’étonner, si on ne savait pas combien est grande la puissance de l’esprit de coterie et de l’importunité. Tous les partis comptent dans leurs rangs de ces hommes qui ne voient rien au-delà des évènemens présens, qui ne songent point (comment y songeraient-ils ?) à la conduite des affaires, mais seulement aux satisfactions de l’esprit de parti, de ces hommes inquiets, bruyans, insistans, mouches du coche, qui ne laissent pas une minute de repos au conducteur, et finissent par lui faire abandonner la large et bonne voie.

On a beaucoup dit que la discussion des fonds secrets a porté un coup mortel aux partis intermédiaires, qu’elle aurait pour résultat de diviser la chambre en deux grandes fractions, le parti du gouvernement et l’opposition, qu’on ne verrait plus désormais de bataillon volant, à drapeau incertain, présentant tantôt une nuance, tantôt l’autre, passant aujourd’hui à la gauche, demain à la droite, se décomposant au besoin pour se reformer l’instant d’après, et se décomposer de nouveau, prenant toutes les questions par le petit bout, plus propre en toutes choses à nuire qu’à aider, plus désireux d’empêcher que de faire. Si ce résultat se vérifie, nous aussi nous sommes tout disposés à nous en féliciter et à en féliciter le pays ; mais, à vrai dire, nous croyons peu aux miracles en politique, et ce résultat, pour quiconque connaît les habitudes d’esprit et les antécédens des hommes de notre temps, serait un grand miracle. Le partage exact de la chambre en deux grandes fractions suppose une soumission d’esprit, une résignation, une organisation, dont les démocraties n’ont jamais offert d’exemple. Dès que deux opinions se sont fortement dessinées, l’esprit individuel en fait naître une troisième qui se glisse entre les deux, et prétend leur démontrer qu’elles sont l’une et l’autre erronées, excessives du moins.

Supposons toutefois que le miracle s’accomplisse, qu’il n’y ait plus dans la chambre ce tiers-parti qui a été trop souvent, nous en convenons, un embarras et un péril. Qu’est-ce à dire ? Que nous aurons en présence l’une de l’autre deux masses homogènes et compactes, sans diversités, sans nuances ? Ce serait un rêve que de le penser. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que les opinions qui ont entre elles une affinité réelle, substantielle, renoncent à leurs déplorables divisions sans renoncer à leurs nuances, et n’offrent plus le spectacle de frères qui se déchirent pour des questions secondaires et des querelles d’amour-propre.

Il n’y a dans la chambre que trois partis substantiellement différens, la gauche, le parti légitimiste et les conservateurs. Nous parlons de partis, nous ne parlons pas d’individus. Dans chaque parti, il y a des personnes qui en