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LA BELGIQUE.

reculer de plus en plus l’éventualité, elle sent bien qu’un accident inattendu, ce grain de sable qui parfois change la face du monde, peut d’un moment à l’autre la faire éclater et ramener pour elle les chances d’asservissement. L’absorption politique, tout à l’heure on lui en a jeté imprudemment la menace, et c’est par la fusion, par la solidarité des intérêts industriels des deux pays, qu’on prétend l’opérer. C’est cette double crainte qui la préoccupe dans tous les actes de sa politique commerciale. Et nous disons même, car nous ne voulons rien dissimuler, qu’en Belgique le sentiment national se complique, par cette cause, d’une constante défiance des vues ambitieuses de la France et d’une jalousie maladive de sa supériorité accablante sous tant de rapports. Le langage habituel des publicistes parisiens, des paroles trop significatives lancées du haut de la tribune française par des orateurs et même des hommes d’état dont on sait l’influence, n’ont pas peu contribué à justifier ses ombrages. Il faut qu’on veuille bien les concevoir et les excuser en France. Si la nation belge a une vitalité réelle, il est naturel qu’elle s’indigne du dédain qu’on lui montre, et qu’elle redoute la conquête ou l’absorption dont on promène sous ses yeux le fantôme. La peur raisonne parfois, quoi qu’on en dise ; la susceptibilité nationale des Belges ne s’effarouche si vite que parce qu’ils voient leur destinée indirectement fixée à celle de la France, que parce qu’ils recevront toujours les premiers le contre-coup de toutes ses agitations. Il en résulte que tous leurs hommes politiques, tous ceux dont la vie s’est encadrée dans le nouvel ordre de choses que la révolution de septembre a créé, cherchant des points d’appui à l’indépendance de leur pays, du côté où l’avenir paraît moins menacé, sont par position et par patriotisme anti-français (sans que nous voulions attacher à cette désignation aucune nuance de haine) ; et quel que soit le parti dont ils suivent le drapeau, tous s’accordent merveilleusement sur ce point. Les catholiques et les libéraux entretiennent le même sentiment de réserve et d’inquiétude vis-à-vis de la France ; les premiers craignent son scepticisme philosophique ; les seconds veulent bien partager ses idées, mais non pas sa fortune ; tous croient à tort ou à raison que l’avenir de la Belgique est sur son chemin, et qu’elle n’aspire qu’à y mettre un terme. Sur ce terrain-là, MM. Rogier, Lebeau, Devaux, Verhaegen, Nothomb et de Theux se donnent la main sans distinction de couleur politique, et les voix dont ils disposent dans les chambres se réunissent avec eux pour approuver tout ce qui peut tendre à dégager