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LA BELGIQUE.

La raison en est facile à comprendre, et pour qui voudra réfléchir aux circonstances particulières où le peuple belge s’est trouvé jeté depuis sa naissance, son infirmité constante, sa nullité même, sous ce rapport, ne prouvera point contre sa nationalité. Dans un pays où deux idiomes sont en présence et se confondent parfois, où leurs patois remontent trop souvent jusqu’à la couche moyenne de la société, il n’y a pas de littérature possible. C’est l’instrument, dans ce cas, et non le génie propre qui manque. La Belgique en est là. Cependant la langue française y gagne du terrain et refoule peu à peu le flamand dans le peuple, malgré la résistance singulière d’une petite coterie qui voudrait l’élever jusqu’au rang d’idiome littéraire, résistance qui, soit dit en passant, s’appuie toujours sur le respect du pays pour des habitudes séculaires. Nous ne pouvons dire encore si, du jour où les hommes de quelque portée dans la partie flamande auront renoncé de bonne grace à une langue sans avenir et qui partage inutilement leurs facultés de style, la Belgique aura une littérature ; elle l’espère du moins. Jusqu’à présent, elle n’a que des écrivains en petit nombre et d’une modeste valeur dont la contrefaçon arrête encore l’essor. En attendant meilleur avenir, c’est vers les recherches historiques que s’est portée toute l’activité des esprits. Dans chaque ville où il y a des dépôts de manuscrits et de chartes, des compilateurs patiens rendent successivement les vieilles annales à la lumière. Ce qui s’oppose à ce qu’il paraisse encore un historien, c’est que ce peuple, qui se possède depuis si peu de temps, a le faible des parvenus, et tâche de persuader aux autres, comme il se persuade à lui-même, qu’il a une histoire à lui seul et qu’elle ne s’est interrompue jamais. Quand il sera revenu de ce travers, du reste bien concevable, les matériaux seront prêts pour les monumens historiques qui manquent à son véritable passé, et s’il parvient à se créer une forte littérature avec une langue qui n’est pas exclusivement la sienne, c’est par ces travaux solides qu’il commencera. Il est vraiment regrettable que le tourbillon politique ait détourné de sa vocation première la génération qui s’élevait en 1829. Des esprits tels que M. Vandeweyer, ambassadeur à Londres, tout entier alors aux études philosophiques, et M. Nothomb, auteur d’une Histoire de la Révolution belge, aujourd’hui chef du cabinet, auraient depuis long-temps devancé notre prophétie.

Nous venons de réunir à peu près tous les témoignages de vie, tous les symptômes de nationalité que nous avions découverts depuis long-temps chez le peuple belge : son existence d’autrefois, ses