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leurs défilés, et par un complet triomphe prouvèrent à la Porte que, s’ils avaient dû fléchir devant la stratégie européenne, ils gardaient toute leur supériorité en face des bandes irrégulières de l’islamisme. La déroute du visir bosniaque, qui peu de temps après se tua lui-même de honte, réduisit les musulmans à ne soutenir contre la montagne Noire qu’une guerre d’escarmouches, sans résultats historiques.

Le 18 octobre 1830, mourut à l’âge de quatre-vingts ans, après un règne d’un demi-siècle, le grand vladika Pierre, qu’on pourrait presque nommer le Louis XIV du Tsernogore. Cet obscur antagoniste de Napoléon sur la mer Adriatique avait plus qu’aucun de ses prédécesseurs contribué à constituer son pays. Sa bravoure et l’invincible énergie de sa volonté n’excluaient en rien la douceur, qui chez lui était extraordinaire ; il avait le don de la persuasion et de l’éloquence à un degré tel, qu’il suffisait d’un mot de lui pour obtenir des Tsernogortses les plus grands sacrifices ; son pouvoir était illimité, et il commandait même au gouvernadour, quoique celui-ci fût censé son égal et siégeât en face de lui, Sa vie, d’une simplicité toute primitive, était si austère, que durant sa dernière maladie il n’avait pas même de feu dans sa chambre à coucher, ou plutôt dans sa pauvre cellule. Dès que ce chef d’un peuple héroïque eut expiré, toutes les plèmes accoururent pour lui baiser une dernière fois les mains. Comme il l’avait demandé dans son testament, un armistice de six mois fut juré sur sa tombe avec tous les ennemis du dedans et du dehors, et la belliqueuse montagne ne fit plus que gémir et prier, en invoquant celui qui toute sa vie s’était montré un bon prêtre et un parfait citoyen. Quatre ans plus tard, à l’ouverture du cercueil de Pierre Ier, les habitans de Tsetinié, ayant trouvé son corps intact, crièrent au miracle. Le grand homme fut déclaré saint ; ses os furent mis sur un autel, qui est visité depuis ce temps par de nombreux pèlerins de toutes les provinces serbes.

Dès le lendemain de la mort de Pierre Ier, celui de ses neveux qu’il avait désigné pour son successeur, quoiqu’il n’eût encore que dix-huit ans, dut prendre en main la crosse du défunt, fut conduit sur l’aire du Tsernoïevitj Ivo, et fut salué vladika par tout le peuple sous le nom de Pierre II. Pierre n’était pas même encore diacre : le dernier pacha Bouchatli, Moustapha, fils du fameux Kara-Mahmoud, permit à l’évêque de Prisren de se rendre dans la montagne pour donner la prêtrise au nouveau régent, qui n’alla qu’en 1833 recevoir à Pétersbourg la consécration épiscopale. Jusqu’à cette époque,