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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

pris dans le duché et la province de Zenta (appellation qui ne désigne plus de nos jours que la vallée de la Moratcha, de Jabliak à Podgoritsa), le pays maintenant appelé Tsernagora est situé entre l’Albanie, la Bosnie, l’Hertsegovine et la Dalmatie autrichienne. La Moratcha et la Paskola, qui tombent dans le lac de Skadar, lui servent de frontière orientale. À l’occident, sa limite naturelle serait la côte de l’Adriatique, d’Antivari à Raguse ; mais le congrès de Vienne en a disposé autrement, et les Tsernogortses, qui de plusieurs points de leurs frontières pourraient presque lancer des pierres dans la mer, n’ont pas un seul débouché maritime.

Les remparts naturels du pays sont, à l’ouest, les contreforts du Sella-Gora, hauts de cinq à six mille pieds, à l’est et au nord la chaîne de l’Ostrog, au sud le Sutorman. De ces cimes se détachent des chaînons qui traversent en mille sens l’intérieur du pays. Les chansons nationales racontent que le Dieu du ciel, en parcourant la terre pour y semer les montagnes, laissa par mégarde tomber sur le Tsernogore le sac où il tenait sa provision de rochers ; les blocs de granit contenus dans le sac roulèrent de tous côtés et couvrirent le pays. On n’y trouve qu’une seule plaine, celle de Tsetinié, large seulement d’une demi-lieue sur quatre lieues de longueur, et qui, entourée d’une ceinture de rocs, fut naguère le lit d’un lac. La seule grande rivière du pays est le Tsernoïevitj, qui, descendant des monts Maratovitj, au-dessus de Dobro, se rend par Tsetinié dans le lac de Skadar ; un marché se tient chaque semaine dans un étroit bazar, à l’endroit où les bateaux qui remontent le Tsernoïevitj cessent de pouvoir naviguer. Ce bazar est très fréquenté, même par les Serbes d’Autriche et de Turquie. Le Tsernoïevitj, dans son cours très inégal, tantôt s’étend sur de belles livadas (prairies), tantôt se perd sous les roseaux ou se resserre entre des roches pendantes, qui semblent vouloir lui barrer le passage. Sur ses bords s’élevait la forte citadelle de Rieka, devant laquelle échoua une armée ottomane, et dont il reste à peine des vestiges. Les ruines d’Obod, situées sur un mont près de l’embouchure de la rivière, ont été mieux conservées. Au bas de ce donjon détruit s’ouvre, dans le rocher, une vaste et mystérieuse caverne ; l’héroïque Ivo, le père des Tsernogortses, y dort, suivant la tradition, couché sur le sein des vilas[1], qui le gardent et le réveilleront un jour, quand Dieu aura résolu de rendre Kataro et la mer Bleue à ses chers Monténégrins. Alors le héros immortel marchera de nou-

  1. Nymphes chrétiennes qui figurent dans les légendes serbes.