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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

ne comptent leurs hommes que par le nombre des fusils qu’ils peuvent mettre en joue devant l’ennemi.

Au XVIIe siècle, d’après les relations vénitiennes, ce petit peuple ne se composait guère que de 20 à 30,000 ames. Il en comptait environ 50,000 quand il commença sa lutte contre les Français, maîtres de la Dalmatie. Vingt ans plus tard, les statistiques élevaient déjà ce chiffre à 75,000 ; enfin la Grlitsa, calendrier officiel de Tsetinié, déclara en 1835 que le pays renfermait 100,000 habitans. En tenant compte des accroissemens territoriaux du Tsernogore, on peut sans exagération fixer à 120,000 ames le minimum actuel de cette population libre. On connaît avec plus de certitude le nombre de ses guerriers : le contingent des quatre nahias (départemens tsernogortses) est fixé à 9,000 fusils ou combattans, dont 3,500 pour la Katounska, 2,000 pour la Rietchka, 1,000 pour la Liechanska, et 2,500 pour la Tsernitsa-Nahia. Au contingent de ces quatre départemens, il faut ajouter celui des Berda. On nomme ainsi les sept montagnes qui environnent le territoire monténégrin. Ces montagnes ne font point partie du Tsernogore, mais les tribus qui les habitent sont confédérées avec cette république. La population réunie des sept berda est peut-être aussi forte que celle des quatre nahias ensemble. Aussi, quoique la Grlitsa de 1835 ne comptât que 15,000 combattans, la Gazette dalmate de Zara, en décembre 1838, évaluant les forces du Tsernogore, ne craint pas de les élever à 19,500 guerriers bien exercés. C’est trop peu, dira-t-on, pour défendre un pays ! Mais qu’on frappe d’une seule balle les rochers de la frontière, et il en sortira de tous côtés des bras et des carabines : vieillards, enfans, les femmes même, tout se lèvera contre vous ; vous aurez autant d’ennemis acharnés qu’il y a d’ames dans la montagne. Le Tsernogore n’est pas un peuple régulièrement constitué, c’est un camp d’insurgés qui cherche sa vie dans la guerre et ses joies dans la vengeance. Ce pays est resté jusqu’ici tellement en dehors de toutes les conditions de la société civile en Orient, que le droit de cité, au grand scandale des autres Serbes, y est indifféremment décerné aux hommes de toutes les religions. Les catholiques latins y sont très nombreux, et l’on y reçoit même des Turcs, qui ont formé une tribu à part, et combattent en frères avec les chrétiens, tout en continuant de croire au Koran et d’avoir leur mosquée.

Les voisins occidentaux des Tsernogortses leur attribuent cependant les plus grossières superstitions ; le Monténégrin se croit, disent-ils, tout permis, pourvu qu’il donne la dîme aux moines et qu’il