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LES ARTS EN ANGLETERRE.

bizarrerie et l’affectation. Les tableaux de M. Martin sont toujours inférieurs à ses gravures ; le ton local en est lourd et conventionnel, et les détails se confondent dans ces couches de bitume et d’ocre où il les noie.

MM. Roberts et Danby, peintres de talent sans aucun doute, pèchent par le plus grand de tous les défauts : ils imitent, je dirais presque qu’ils copient. C’est à la suite de M. Martin qu’ils se sont mis.

M. Turner exclusivement paysagiste est de beaucoup supérieur à M. Turner, mêlant le paysage et le genre. Il a compris la nature d’une façon naïve et poétique à la fois. À l’imitation de Claude Lorrain, il s’est fait le peintre du calme, de la lumière et de l’espace. Avec plus de précision, de fini dans les premiers plans, et en évitant certains empâtemens blafards et crus, il eût pu se placer non loin de cet immortel interprète de la nature ; je parle toujours du Turner d’autrefois, car, nous l’avons dit, depuis que cet artiste peint de pratique et donne dans la bizarrerie et la mignardise, il a vu rapidement décliner son talent ; aujourd’hui M. Turner se survit.

En Angleterre, on aime la nature, et l’amour qu’on lui porte va jusqu’au respect. Ce respect et cet amour ont gagné peu à peu toutes les classes de la nation. Le propriétaire du plus petit cottage se garderait bien de mutiler le bel arbre jeté sur la pelouse de son jardin, sous prétexte de changer sa forme et de l’embellir. Il sait que cet arbre ne doit sa beauté qu’à son ensemble complet et libre ; il sait cela confusément peut-être, mais enfin il le sait. Jamais vous ne le verrez la serpe à la main corriger les caprices de la nature, et mutiler la branche qui s’égare. Kent et Brown, ces grands paysagistes dans leur genre, développèrent et popularisèrent ce goût raisonné pour les beautés de la nature en dessinant les magnifiques parcs qui entourent les habitations de l’aristocratie anglaise. Les hommes qui chaque jour avaient sous les yeux de charmans points de vue, de beaux tableaux naturels, furent nécessairement difficiles sur les portraits de cette même nature que l’art pouvait leur offrir. Ils les voulurent naïfs, sans apprêt, et cependant poétiques. C’est à ces prédilections nationales que l’art du paysage doit en Angleterre ses plus précieuses qualités. MM. Turner, Calcott, Lee, Stanfield, Harding, Constable, Fielding et bien d’autres que nous pourrions encore nommer, ont vraiment compris la nature, et l’ont interprétée avec un sentiment poétique des plus rares, quelquefois aussi avec trop de largeur, de laisser-aller et un mépris trop souverain de la partie technique et matérielle de l’art, du métier en un mot, ne s’occupant