Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/894

Cette page a été validée par deux contributeurs.
890
REVUE DES DEUX MONDES.

ventre, le ventre à la nourriture, et tous deux au néant ! » Ces paroles ramenèrent le peuple, et la journée s’acheva à chanter des hymnes au Seigneur.

Je sens bien qu’en racontant ces luttes de saint Augustin contre le paganisme et contre ses pratiques, je m’éloigne un peu du sujet de mes études, car il n’y a rien là qui puisse servir par comparaison à mieux connaître et à mieux comprendre l’Afrique moderne ; mais je ne puis résister, je l’avoue, au plaisir de montrer au IVe et au Ve siècle de l’ère chrétienne le mouvement et la vie de ces villes de l’Afrique, oubliées pendant si long-temps et presque ensevelies dans les déserts, ou devenues au bord de la mer des nids de pirates et maudites par l’Europe, qui les avait autrefois bâties et peuplées à son image. En lisant dans saint Augustin le récit de ses entretiens avec le peuple pressé autour de sa chaire, l’idée de la longue solitude d’Hippone et de Carthage se mêle aux images de la vie du Ve siècle, et les rehausse par le contraste. J’ajoute comme dernière excuse que, si ce n’est pas l’Afrique que j’étudie, au moins c’est l’homme, et il me semble même qu’il y a entre l’habitant de Carthage ou d’Hippone au IVe siècle et l’homme de nos jours des traits de ressemblance qu’il est curieux de remarquer. C’est un de ces derniers traits que je veux montrer, en finissant le tableau de la confusion et de l’incertitude des idées religieuses en Afrique au IVe et au Ve siècle.

Nous avons vu en Afrique les incertains représentés par Licent, les philosophes par Maxime et par Longinien ; nous n’avons pas vu les superstitieux. La superstition fait partie de l’esprit humain, et elle a sa place dans les sociétés incrédules. Seulement la superstition des incrédules a un caractère tout-à-fait particulier. L’incrédule ne croit à rien de divin, mais il transporte aisément aux hommes la toute-puissance qu’il refuse aux dieux. Il croit volontiers aux astrologues et aux magiciens ; mais l’astrologie et la magie sont pour l’incrédule des secrets de la science humaine : les dieux n’y sont pour rien. L’incrédule rit des augures, mais il croit que l’homme, à l’aide de certaines combinaisons de nombres, peut connaître l’avenir. Il rit des dieux qui sont immortels, il raille l’éternelle beauté de Vénus et l’éternelle jeunesse d’Hébé ; mais il croit qu’à l’aide de certains secrets de la médecine, l’homme pourra éterniser sa vie. Le propre enfin de la superstition des incrédules, c’est d’ajouter à la puissance de l’homme tout ce qu’elle ôte à la puissance de Dieu. Les temps d’incrédulité sont les temps où abondent les fausses religions, où pullulent les faiseurs de choses mystérieuses et extraordinaires, où