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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

n’a ni origine ni descendance, unique et inépuisable créateur de la nature entière. Nous adorons, sous le nom des dieux divers, ses vertus répandues dans l’univers pour l’entretenir et le conserver, car nous ignorons tous le vrai nom qui lui appartient, et c’est ainsi qu’en offrant un hommage différent aux différens attributs de la divinité, l’homme parvient à l’adorer tout entière[1]. »

Cette apologie du paganisme, moitié sérieuse et moitié railleuse, a un ton de liberté et de hardiesse qui s’explique par le temps où elle fut faite. C’était en 390. À cette époque, saint Augustin n’était pas encore évêque ; Valentinien II était sur le trône. Le paganisme était encore toléré ou même protégé, et rien ne gênait Maxime, ni l’autorité des lois, ni le respect dû à la dignité de saint Augustin. Le second défenseur du paganisme, Longinien, est moins à son aise. Il écrivait à saint Augustin vers l’an 406 ; alors saint Augustin était évêque depuis dix ans, et le paganisme était interdit. De là la réserve et la circonspection de Longinien dans son apologie[2]. Sa lettre est triste et touchante. Longinien était déjà vieux sans doute, et il voyait mourir avant lui ou avec lui le culte dont il était prêtre[3]. Comme tous les défenseurs des systèmes déchus, il insiste bien plus sur les analogies que le paganisme a avec les idées nouvelles que sur les différences, et, comme Maxime, il essaie aussi de faire croire que toutes les religions ont le même fonds, et que toutes peuvent conduire à Dieu, car c’est là la question que lui adressait saint Augustin. « Vous voulez que je vous dise, répond Longinien, quelle est, selon moi, la route qui conduit le plus sûrement à Dieu ; écoutez donc ce que m’ont enseigné nos pères : la piété et la justice, la pureté et l’innocence, la vérité des actions et des paroles, la persévérance en dépit de l’instabilité des temps, l’assistance protectrice des dieux, l’appui des puissances divines ou plutôt des vertus du Dieu unique et universel, incompréhensible et inexprimable, ces vertus que vous appelez les anges, les rites solennels des anciens sacrifices, et les expiations salutaires qui purifient l’ame et le corps des mortels, voilà, selon les leçons de nos aïeux, voilà la route assurée qui conduit l’homme à Dieu[4].

  1. Lettre 16, p. 28.
  2. « Grave mihi onus et difficillimam respondendi provinciam mihi imponis, tuis percuntationibus et sub hoc tempore explicandis per meæ opinionis sententiam, id est a pagano homine. » (Lettre 234, t. II, p. 1285.)
  3. Il était prêtre de quelque temple ; il parle de son sacerdoce : « Ut mea expetunt sacerdotia. »
  4. Let. 234, t. II, p. 1235.