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Ce qui faisait que beaucoup d’hommes comme Licent supportaient sans trop de peine cette incertitude religieuse, c’est qu’il s’était formé peu à peu, des débris confondus des croyances mythologiques et des opinions philosophiques, un système de paganisme philosophique qui suffisait aux esprits qui n’avaient qu’une médiocre ardeur ou une médiocre élévation. Ce paganisme, corrigé à l’usage de la sagesse du monde, et dont Julien avait essayé un instant de faire la religion officielle de l’empire, servait d’oreiller aux consciences endormies. Cette religion n’avait qu’un malheur. Elle n’était guère plus attaquable que le déisme, mais elle n’était pas plus efficace et plus consolante que le déisme, et elle ne satisfaisait ni à l’imagination du peuple, qui voulait un culte plus sensible, ni à l’inquiétude des intelligences élevées, qui comprenaient que le déisme pur ne répond pas à tous les doutes et à tous les besoins de la raison humaine.

En Afrique, sous saint Augustin, le paganisme philosophique avait pour défenseurs le philosophe Maxime de Madaure et le pontife Longinien ; mais le peuple restait fidèle au vieux paganisme et aux dieux de la mythologie. Voyons tour à tour, dans saint Augustin, ces deux sortes de paganisme.

Le paganisme philosophique, fait pour le beau monde de l’empire, avait les défauts du beau monde : il était froid, sec et moqueur. Il riait volontiers de Mars et de Vénus, et des contes de la mythologie ; mais il prenait avec malice les noms grossiers de quelques martyrs sortis du peuple, et de même que Voltaire, quinze cents ans plus tard, opposait ironiquement aux images gracieuses de la mythologie ce qu’il appelait la grossièreté des légendes chrétiennes :

Et le chien de saint Roch et la guimpe d’Ursule,

le philosophe Maxime raillait saint Augustin[1] sur les martyrs Mygdon, Sanaé et Namphanion, noms puniques qui avaient sans doute quelque sens trivial et grotesque[2], et, idoles pour idoles, puisque les chrétiens adorent les tombeaux de ces grossiers martyrs, il aime mieux les idoles de la Grèce. Puis, faisant succéder aux sarcasmes de l’homme du monde les raisonnemens du philosophe : « Oui, dit-il, le forum de Madaure est rempli des images de nos dieux, et j’approuve cet usage ; mais ne croyez pas qu’il y ait personne d’assez fou pour ne pas comprendre qu’il n’y a qu’un seul dieu suprême, qui

  1. Lettre 16e, p. 28.
  2. Nous voyons, dans la réponse de saint Augustin, que Namphanion, ce nom qui faisait tant rire Maxime, voulait dire, en langue punique, un homme qui a bon pied.