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développer en présence les uns des autres et se confier leur mot d’ordre. Ils se craignent mutuellement ; chacun se contient, nul ne se croit assez fort pour dominer le mouvement et en prendre la direction. Si cette conjecture avait quelque fondement, la mollesse de l’insurrection, après ses premiers exploits, ne serait pas difficile à expliquer. Il serait aussi facile de comprendre comment un mouvement si considérable, et qui aurait pu avoir d’immenses résultats pour l’Espagne, se trouve manquer de chefs et par là de direction et de suite. L’insurrection de Valence, qui aurait été pour Barcelone un secours décisif peut-être, s’est éteinte d’elle-même ; elle n’avait pas de chef. À Barcelone, Llinas vient d’être destitué ; on a été obligé de confier le commandement de la force armée à un officier piémontais, au brigadier Durando, qui a été bientôt contraint de donner sa démission et de se réfugier sur le Méléagre. Ainsi, il ne s’est pas trouvé un Espagnol à Barcelone en état de diriger l’insurrection, d’en entretenir l’ardeur, d’en relever le courage. Faut-il en conclure que les hommes manquent réellement à l’Espagne ? ou bien doit-on croire que, l’insurrection se trouvant composée d’élémens très divers, aucun chef de parti n’a osé se mettre en avant et arborer son drapeau, de crainte de disperser par cela seul le plus grand nombre de ses auxiliaires ?

Quelle qu’en soit la cause, la situation est favorable à Espartero. Si Van Halen peut conserver ses positions jusqu’à l’arrivée du régent, si l’insurrection ne s’étend pas dans les provinces limitrophes, si le canon de Barcelone n’a pas trouvé d’écho dans la Navarre et les provinces basques, Espartero aura très probablement bon marché des révoltés catalans. Il y aura peut-être du sang répandu, mais l’insurrection sera étouffée.

Pourquoi, au reste, s’étonner des perplexités de la révolte ? Si nos conjectures étaient fondées, l’insurrection se trouverait paralysée par le même vice organique qui paralyse l’Espagne tout entière, qui retarde du moins le développement de sa puissance ; ce vice, c’est l’absence d’unité. Composée de parties fort hétérogènes et presque antipathiques les unes aux autres, l’Espagne n’avait en elle-même aucune des conditions requises pour arriver à la complète fusion des diverses parties d’un empire. Les historiens n’ont peut-être pas assez remarqué que, s’il est des nations qui s’assimilent facilement les populations que la politique leur confie, il en est aussi qui sont dépourvues de toute puissance d’assimilation. Cela est vrai de tous les peuples qui composent la nation espagnole, cela est vrai en particulier des Castillans, des Arragonais, des Catalans. Peut-être l’assimilation aurait-elle été plus active si le siége du gouvernement eût été placé à Séville, si l’impulsion fût venue de l’Andalousie. Quoi qu’il en soit, les diverses parties de l’Espagne, sans aucune liaison intime et propre, n’ont été réunies et tenues ensemble que par un principe en quelque sorte extérieur, par la monarchie. Sans la royauté, l’Espagne n’aurait été qu’une confédération. Aujourd’hui encore, si le parti républicain pouvait prévaloir en Espagne, il ne parviendrait à y réaliser qu’une république fédérative avec toutes les faiblesses et tous les désordres des confédérations du midi, de ces ligues grecques et italiennes