Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/867

Cette page a été validée par deux contributeurs.
863
REVUE MUSICALE.

que devient M. Scribe ? Si l’on y réfléchit, voilà près de deux ans qu’il ne donne rien. L’inépuisable auteur de tant de chefs-d’œuvre lyriques, le cerveau le plus inventif de ce temps-ci, serait-il donc à bout d’intrigues musicales ? ou plutôt faut-il voir dans ces façons de s’abstenir un peu de mauvaise humeur et de bouderie contre l’administration actuelle, trop empressée de se pourvoir ailleurs dans l’occasion ? Quoi qu’il en soit, ces petites rancunes auront leur terme : deux opéras, dont les poèmes sont de lui, le Duc d’Albe, de M. Donizetti, et surtout le Prophète, de M. Meyerbeer, ramèneront nécessairement M. Scribe à l’Académie royale de Musique, où ses absences, quelques essais qu’on tente, finiront toujours par être vivement regrettées. L’opéra de M. Meyerbeer, que des difficultés d’exécution semblaient avoir relégué dans les brouillards d’un horizon impénétrable, vient de rentrer, grace à de nouveaux arrangemens, dans la catégorie des éventualités. L’administration comprend trop bien désormais quelle chance de fortune elle perdrait, et quel discrédit pèserait sur elle, si cette grande œuvre lui échappait, pour ne pas souscrire aux légitimes combinaisons que le maître propose. On a reproché souvent à M. Meyerbeer de se montrer exigeant outre mesure à l’endroit de ses chanteurs et de ses cantatrices ; mais pour peu qu’on veuille réfléchir à la manière dont il travaille, au sérieux qu’il apporte dans ses moindres compositions, on trouvera tout naturel le soin minutieux qu’il donne aux préliminaires. D’ailleurs, ces habitudes n’ont rien qui choque en Allemagne ; Weber ni Beethoven, si l’on s’en informe, ne procédaient autrement. Que les gens qui bâclent une partition en trois semaines prennent sans façon tout ce qu’ils trouvent, libre à eux ; ils spéculent et n’ont pas le loisir d’attendre : une improvisation chasse l’autre, et les défaites ne leur coûtent rien. Mais on comprendra aisément qu’un homme qui a passé par les plus grands succès qu’on cite au théâtre, qui sait au fond ce que vaut sa pensée, garde une attitude plus digne, et, sûr de lui-même, prétende aussi pouvoir compter sur son monde. M. Meyerbeer, que ses fonctions de maître de chapelle du roi de Prusse appelleront cet hiver à Berlin, reviendra au printemps ; alors seulement la distribution des rôles sera agitée. Du reste, tout porte à croire que l’illustre auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots se dédommagera, à la saison prochaine, du silence qu’il garde depuis des années. S’il est question du Prophète à l’Opéra, aux Italiens on parle du Crociato, qui sera mis à la scène avec tous les honneurs d’une véritable nouveauté, car le maître s’est engagé à revoir sa partition, écrite dans sa première manière, et à l’enrichir de morceaux inédits qui donneront à cette reprise tout l’intérêt d’une première représentation.

Le Roi d’Yvetot, que M. Adam vient de composer sur la chanson de Béranger, est un petit opéra de la famille du Brasseur de Preston, ou du Fidèle Berger, avec la différence pourtant que cette fois les auteurs ont mieux réussi. Nous sommes loin de donner cela pour un chef-d’œuvre de goût et d’élévation, et convenons volontiers avec les difficiles qu’il y aurait des inspirations