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musique profane dans les églises. Puisque la cour pontificale se trouvait en humeur de règlemens et d’admonestations, n’aurait-elle pas aussi bien fait, dans l’intérêt de l’art et des convenances, de défendre au théâtre des partitions exclusivement conçues dans le style liturgique, et d’ordonner que, lorsqu’un musicien apporte, comme M. Dietsch, l’auteur du Vaisseau Fantôme, un opéra qui n’est qu’une messe d’enterrement en deux actes, ce musicien soit impitoyablement renvoyé aux chantres de Saint-Eustache ?

On annonce pour cet hiver la composition nouvelle de M. Halévy. Ainsi, en moins de douze mois, l’Oriflamme va succéder à la Reine de Chypre. Ne craint-on pas que cette libéralité singulière qu’on met à prodiguer les inspirations d’un même auteur n’engendre, à la longue, une déplorable monotonie dans le répertoire de l’Académie royale de Musique ? Est-ce donc un génie si varié que M. Halévy ? En vérité, quand on pense aux gigantesques dimensions qu’affectent de notre temps les œuvres lyriques en cinq actes, on a peine à s’expliquer qu’un maître puisse suffire coup sur coup à la tâche. Heureusement, en pareilles circonstances, le métier vient en aide à l’art ; autrement, comment ferait-on ? Pour peu que le musicien ait livré trois morceaux, les répétitions commencent, et, tandis que les chanteurs apprennent, lui compose ; aujourd’hui donne une cavatine, demain apporte un finale, après-demain le grand duo de ténor et basse. Les feuillets encore humides sont transmis à Barroilhet et à Duprez, qui s’en emparent avec ardeur ; insensiblement les lacunes se comblent, l’enfantement aboutit, et le jour de la représentation arrive sans qu’on y prenne garde. Tout cela se ressent bien de la hâte et de la confusion qui ont présidé au travail : l’unité de composition et de style, par exemple, ce grand secret des œuvres immortelles qu’on ne trouve que dans l’isolement et la réflexion, manque tout-à-fait ; mais qu’importe ? le vacarme instrumental se charge des soudures. Et d’ailleurs les décors ne sont-ils pas splendides, les costumes somptueux, et des trompettes de six pieds, caparaçonnées de drap d’or comme un cheval de triomphe, ne sonnent-elles pas de victorieuses fanfares ? Le poème de l’Oriflamme a pour auteur M. Casimir Delavigne, qui s’est inspiré, dit-on, de la démence du roi Charles VI, dont M. Duprez doit représenter le personnage. En choisissant de préférence une époque de notre histoire si féconde en revers et en calamités de toute espèce, l’heureux chantre de Jeanne d’Arc et de Waterloo n’aura sans doute pas négligé de mettre en jeu les passions nationales et ces grands effets de patriotisme toujours si favorables à la musique. On prétend aussi que M. Victor Hugo s’occupe de mettre en opéra cet aimable conte bleu de Pecopin et Pecopette, qui traînait depuis plus de trois siècles dans tous les almanachs de la bonne Allemagne, lorsque la fantaisie vint à l’illustre poète des Orientales de l’imaginer dans son excursion sur les bords du Rhin. On ne dit pas encore sur quel musicien le choix de M. Victor Hugo s’est arrêté, mais cela se devine ; nous ne voyons guère, en effet, parmi les contemporains, que M. Berlioz qui soit capable de composer cette fantastique partition. Pendant ce débordement de poésie à l’Opéra,