Cette lettre est signée der Unruhige, l’inquiet. Ne rions pas trop de la sentimentalité quelque peu naïve ; au temps de Jean-Jacques et des Confessions, elle eût passé. D’ailleurs, au jeune étudiant qui vient d’écrire Werther, cette emphase du cœur ne messied pas ; elle est là, si l’on veut, comme un trait caractéristique du moment, comme un point du costume, et je l’aime presque autant que cet œil de poudre sur les cheveux cendrés de miss Harlowe, non qu’à tout prendre cette inquiétude doive effrayer. Au milieu de ces dissonances intérieures, à travers cet état de trouble et de confusion, une lucidité trop réelle apparaît pour qu’on puisse sérieusement être alarmé. Le patient lui-même n’ignore pas, et cela dans ses plus vives angoisses, que tôt ou tard il guérira. Ce n’est donc là qu’une crise, mais une crise qui, par l’importance du sujet dont elle a choisi le cœur pour théâtre, mérite qu’on l’observe et qu’on l’étudie. Après avoir tant de fois cherché à trouver Goethe dans Werther, ne sera-t-il pas facile, d’après les lettres qui vont suivre, de reconnaître Werther dans Goethe ?
- ↑ 13 avril 1759 ; journée mémorable, en effet, dans laquelle le maréchal de Broglie, à la tête des troupes françaises, battit l’armée des alliés que commandait le duc Ferdinand de Brunswick. C’est à cette action d’éclat que Mme la princesse Hélène, aujourd’hui duchesse d’Orléans, faisait allusion lorsqu’au moment d’entrer en France elle indiquait avec tant de grace et d’à-propos à M. le duc de Broglie, qui l’accompagnait, la place où son aïeul le maréchal s’était illustré. Cette journée de Bergen valut à la France une mode célèbre, la coiffure à la Bergen, que les femmes inventèrent en son honneur.