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quoi ces évêques étaient-ils là ? c’est ce que je n’ai pu comprendre. Probablement la toile sur laquelle ils avaient été peints pour figurer dans quelque tragédie chrétienne était la seule qui pût fermer convenablement la perspective du théâtre, et les vénérables prélats se trouvaient ainsi condamnés à assister en effigie à la comédie, au drame, à l’opéra, au vaudeville, car on jouait tout cela sur le théâtre de Viborg, et tout cela dans une même soirée. Voici le programme de la représentation à laquelle j’ai assisté, copié fidèlement sur l’affiche : 1o  une grande scène de l’opéra de Tancrède, 2o  deux scènes du Don Carlos de Schiller, 3o  un grand air du Mariage de Figaro, 4o  une petite comédie de Saphir, 5o  une comédie en un acte de Kotzebue, 6o  une scène de Sargines, opéra de Paer, 7o  la scène du serment dans la Norma ; de plus, en guise de ballet, la cachucha, dansée par Mlle Rothmeyer. C’était une seule et même famille, une famille composée de quatre individus, qui donnait ainsi au public, moyennant 1 fr. 50 cent. par personne, cet échantillon de tant de chefs-d’œuvre. Le père jouait dans la comédie les grands seigneurs, les vieillards, et dans l’opéra faisait tour à tour la basse et le ténor ; la mère figurait tantôt comme duègne et tantôt comme grande coquette. Les jeunes filles représentaient dans la même soirée des chevaliers, des princesses, des héros, des prêtresses majestueuses et des amantes éplorées. À la fin de la dernière pièce, tous les acteurs furent rappelés l’un après l’autre ; heureusement ils n’étaient que quatre. Mlle Rothmeyer mit la main sur son cœur et adressa au public un petit discours qui n’était pas annoncé sur le programme, et qui mit le comble à l’exaltation du public. Son père, qui parut ensuite, promit de revenir l’hiver prochain et de prendre des mesures pour que le théâtre fut chauffé. Les spectateurs se retirèrent en bénissant cette heureuse perspective.

Le district de Viborg s’étend jusqu’à la frontière russe à huit lieues environ de Pétersbourg. Ses habitans jouissent en général d’une plus grande aisance que ceux des autres provinces de la Finlande ; il est rare qu’ils soient obligés d’avoir recours au pain d’écorce de bouleau, comme cela arrive assez fréquemment aux pauvres gens de l’intérieur du pays. Un grand nombre d’entre eux vivent du produit de la chasse et de la pêche, d’autres naviguent pour le commerce sur les bâtimens de Finlande. Ils ne gagnent pas plus de 12 à 15 francs par mois ; c’est assez pour satisfaire à leurs modestes besoins. D’autres, plus ambitieux, s’engagent sur les navires anglais, où on les accueille avec empressement, car ce sont d’excellens marins. Ils reçoivent là 60 à 70 francs par mois, et s’en reviennent quelques années après riches de leurs économies. Beaucoup d’entre eux sont rangés dans la classe des torpars ou fermiers. Le torpar cultive pour son propre compte une certaine étendue de terrain, et paie son propriétaire en journées de travail, quelquefois deux, quelquefois trois par semaine ; quelquefois encore il s’engage à faire pour son maître un ou deux voyages par an à Pétersbourg ou à Viborg. C’est une espèce de servage volontaire réglé par un bail, un servage assez pénible, si l’on pense que le torpar est souvent obligé de quitter son champ dans les