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rient à chaque instant. Ici c’est une île arrondie et couverte de sapins, posée comme une corbeille de verdure au milieu des eaux ; là c’est une longue vallée ombragée par les bouleaux aux branches pendantes comme celles des saules et parsemée d’habitations ; plus loin, on rencontre les chaînes de rocs, les pyramides de granit rouge et veiné où l’on a taillé la colonne d’Alexandre et le piédestal de la statue de Pierre-le-Grand. Parfois la mer, coupée par des îles parallèles, apparaît de loin comme un fleuve plus large que le Rhône, plus pittoresque que le Rhin ; puis elle s’étend ; elle s’élargit de nouveau, et l’on n’entrevoit plus qu’à l’horizon lointain la grève noyée dans une brume d’azur. Bientôt cependant on rentre dans un vaste archipel, et, à voir ces forêts nouvellement reverdies, ces rameaux de pins et de sapins, d’aunes et de bouleaux avec leurs diverses nuances, ces promontoires effrangés par les vagues, ces baies mystérieuses qui s’enfuient dans l’ombre, on dirait un parc immense sillonné par des rivières, traversé par des lacs. Un vent léger plissait comme une dentelle d’argent la surface des flots, un ciel sans tache s’étendait sur nos têtes, et la mer reflétait tour à tour dans son sein les rayons du soleil, la pourpre des rochers, la verdure des bois.

Six heures après notre départ, nous arrivions à Borgo, pauvre petite ville dont les maisons chétives, les rues tortueuses et obscures, faisaient un singulier contraste avec l’éblouissant spectacle que nous venions d’avoir sous les yeux. Borgo est cependant le siége d’un évêché, et c’est là que demeure Runeberg, le poète chéri de la Finlande. Heureusement la nature qu’il aime et qu’il chante avec un rare talent n’est pas loin de lui : il n’a qu’à faire quelques pas hors de sa sombre cité, et il retrouve cette nature sérieuse et belle, et elle lui parle le doux langage qu’il traduit en vers harmonieux. Le lendemain, nous entrions dans la ville de Louisa, qui méritait vraiment de porter un nom de femme, car elle est riante et gracieuse. Une de ses rues descend jusqu’au bord de la mer, d’autres s’élèvent en amphithéâtre sur les flancs d’une colline ; son origine ne remonte pas au-delà d’un siècle ; elle a la fraîcheur et la gaieté de la jeunesse.

Le Helsingfors, qui nous conduisait ainsi de station en station, est bien le bateau le plus complaisant que l’on puisse voir ; ses heures de départ et de halte ne lui sont guère prescrites que pour la forme. C’est un philosophe qui ne se soucie point de se donner des fatigues inutiles ; il ne court pas, il se promène d’île en île, comme un heureux mortel qui aime à respirer l’air frais et à contempler la belle nature. S’il y a un passager en retard, il l’attend ; si un pêcheur errant sur le golfe invoque son obligeance, il lui jette une corde et le remorque bénévolement. Grace à ces caprices du bateau, au lieu d’arriver à Frederickshamn à cinq heures, selon les promesses du programme, il était près de minuit quand nous vîmes poindre la flèche de son clocher.

Un rempart construit d’après le système de Vauban entoure depuis un siècle cette ville ; il faut qu’il soit bâti sur un plan bien défectueux et dans une situation bien mauvaise, pour que la Russie le laisse tomber en ruines, car dans ce pays, partout où il se trouve une île, un roc qui puisse défendre un coin de