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est vrai, comme l’affirme M. Briavoine, que les éditeurs belges, au moyen des éditions compactes, donnent quelquefois pour 1 fr. 50 cent. ce qui coûte en France 6 à 7 fr. Suivant le même auteur, la contrefaçon ne rapporterait pas de grands profits à la Belgique, car il évalue à 100,000 fr. environ, en le réduisant à sa plus simple expression, le bénéfice annuel que les libraires retirent des ouvrages exportés. En supposant un bénéfice double sur les exemplaires qui se vendent en Belgique, le bilan de la contrefaçon peut se résumer ainsi : quand elle fait gagner 300,000 francs à la Belgique, elle fait perdre à la France 3 millions.

La contrefaçon, à travers les torts qu’on lui reproche, aura cependant rendu quelques services. Elle a créé des consommateurs nouveaux, en Belgique et en Europe, par le bon marché de ses produits ; elle a de plus obligé la librairie française à sortir de la routine et à solliciter le public par le bas prix des éditions autant qu’elle le faisait déjà par leur correction et par leur beauté.

En supprimant la contrefaçon, l’union commerciale rendra aux libraires français le marché européen, qu’approvisionnait presque exclusivement la contrebande belge. La Belgique, en particulier, nous offre aujourd’hui un débouché très important, car nous y exportons déjà, principalement en ouvrages scientifiques, pour une valeur d’un million de francs. Ce commerce s’est progressivement accru plus qu’aucun autre : il a quintuplé en dix ans ; en 1831, il ne s’élevait qu’à 200,000 francs.

On a paru craindre que l’industrie des contrefacteurs, expulsée de la Belgique, ne se réfugiât en Suisse, en Hollande, ou dans les provinces rhénanes. Sans doute il est à souhaiter que le gouvernement français aille au-devant de ce danger, en concluant avec les puissances voisines des traités qui donnent à la propriété littéraire, dans chaque état, de mutuelles garanties ; mais il ne faut pas croire que la contrefaçon puisse s’établir par tout pays sur une grande échelle. Pour alimenter cette industrie, un marché intérieur est nécessaire comme base de consommation, et où trouver ailleurs qu’en Belgique une nation de quatre millions d’hommes qui achète, à elle seule, plus de livres français que tous les autres peuples du continent européen ?

Les libraires belges demandent, pour s’interdire la contrefaçon des ouvrages français, qu’on leur achète leurs établissemens. Nous n’avons pas à nous expliquer sur cette prétention, et nous nous bornerons à reproduire les dispositions qui avaient été stipulées, dans le projet de traité de 1837, afin de pourvoir à cette difficulté. On donnait du temps à la librairie belge, au lieu de lui donner de l’argent. Voici le texte de l’article auquel nous faisons allusion :

« Dans les trois mois qui suivront la promulgation du présent traité, les détenteurs en France des ouvrages belges contrefaits et les détenteurs en Belgique des ouvrages contrefaits en Belgique avant la promulgation du présent traité seront tenus de déclarer lesdits ouvrages et d’en faire reconnaître l’existence et le nombre par les agens que les ministres de l’intérieur des deux royaumes auront préposés à cet effet. Chaque volume vérifié sera frappé d’un timbre qui sera détruit le jour même de l’expiration du délai ci-dessus.