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DE L’UNION COMMERCIALE.

le canal de la Marne au Rhin donnera bientôt à la direction française une voie navigable non interrompue du Rhin à l’Océan, et que le chemin de fer de Paris à Strasbourg, soudé au chemin de Paris au Havre, formera une ligne de fer continue entre l’Allemagne et l’Océan, tandis que la direction allemande n’est pas desservie par un canal, comme nous l’avons déjà fait remarquer, et se compose, pour moitié d’un fleuve, pour moitié d’un chemin de fer. Ainsi, en tout état de cause, la direction du Havre à Strasbourg aura, sur celle d’Anvers à Strasbourg par Cologne, le double avantage d’une économie d’argent par la voie de navigation, et d’une économie de temps par le chemin de fer.

Nous venons d’examiner une à une les parties faibles de notre système industriel, et nous pensons avoir démontré que l’union commerciale ne nous ferait acheter ses avantages par le sacrifice d’aucune branche du travail national. Nous voudrions maintenant convaincre ceux de nos manufacturiers qui remplissent l’air de leurs cris, et qui vont, jusque dans le palais du roi, annoncer, à propos de l’accession de la Belgique à nos douanes, la ruine infaillible de leur industrie, qu’ils donnent là un triste et honteux spectacle à l’Europe. Que vont penser de la France les étrangers, qui la savent riche et puissante, qui ont assisté à nos expositions quinquennales, qui ont entendu les fabricans vanter la perfection de leurs produits et l’économie de leurs procédés, et qui verront cependant les mêmes hommes trembler devant la concurrence non pas de l’Angleterre, non pas même de l’Allemagne, mais d’un peuple de quatre millions d’hommes, de la Belgique, qui est une nation agricole bien plus qu’elle n’est un atelier industriel ? Leur dirons-nous qu’après avoir grandi pendant vingt-cinq ans, à l’ombre de la prohibition la plus énergique, notre industrie n’a pas encore atteint l’âge viril ? Laisserons-nous croire que cette nation, qui a porté si haut la gloire de la théorie, est absolument inhabile à la pratique, et que la nature a vainement semé sur notre sol les élémens de la seule puissance que l’on recherche dans la paix ? Eh quoi ! la France a devancé tous les peuples modernes dans les arts chimiques, qui sont la clé de l’industrie ; elle a les premiers ingénieurs du monde, des écoles et des corps savans de qui la lumière émane en Europe, le crédit le mieux assis, l’argent et la main-d’œuvre en abondance, le blé, le vin, la houille, le fer, et tout cela ne nous rassure pas contre la concurrence d’un peuple qui a long-temps partagé notre fortune industrielle aussi bien que notre existence politique, qui a plus de persévérance et d’économie que de génie mécanique, et pour qui la France a toujours fait l’office de moteur !

S’il y eut jamais une analogie frappante, c’est celle que l’on peut établir entre la situation respective de la France et de la Belgique aujourd’hui, et les rapports de la Prusse avec la Saxe en 1833. Au moment où la Saxe dut accéder à l’association, les manufacturiers prussiens, qui allaient se trouver en présence d’un état plus avancé dans les travaux industriels et principalement dans la fabrication des étoffes de coton, exprimèrent d’assez vives craintes. La Prusse passa outre, et elle fit bien. Depuis dix ans que l’union existe, la