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pénètre toutes les parties du territoire belge, et qui converge vers la France par plusieurs directions. Le port d’Anvers communique avec la mer par un fleuve magnifique, accessible aux bâtimens du plus fort tonnage, et il peut contenir des vaisseaux de guerre dans ses immenses bassins. Il est encore vrai que nos ports de mer, Dunkerque et Calais exceptés, n’ont pour débouchés que des fleuves encore à l’état de nature, tels que la Seine et la Somme, que des bâtimens sans profondeur peuvent seuls remonter. Mais la facilité des communications avec l’intérieur ne suffit pas pour décider la supériorité d’un port sur un autre ; tout dépend de l’importance et de l’étendue des marchés de consommation qu’il est destiné à approvisionner.

Il n’y a sur l’Océan que quatre ou cinq grands centres d’importation, Londres, Liverpool, le Havre, Rotterdam et Hambourg. Bristol était assurément mieux placé que Liverpool dans la mer d’Irlande pour devenir le grand marché des cotons américains ; néanmoins Liverpool a dû l’emporter parce qu’il avait derrière lui Manchester, Leeds, Birmingham et Coventry. De même Southampton et Douvres se trouvaient plus près que Londres sur la route des denrées coloniales qui pénètrent dans la Manche ; cependant Londres, étant un marché de 1,500,000 consommateurs, a dû attirer le commerce des deux Indes dans les replis de la Tamise, et le caserner dans ses innombrables docks. Enfin, il semblait naturel que Dunkerque, qui est d’ailleurs un port fréquenté et qui communique avec Lille, Valenciennes, Arras, Cambrai et Saint-Quentin par un excellent système de canaux, approvisionnât de denrées coloniales les départemens du Nord, de l’Aisne, du Pas-de-Calais et de la Somme. Eh bien ! c’est sur le marché du Havre que Lille, Amiens, Roubaix et Saint-Quentin, vont acheter les cotons mis en œuvre par leurs manufactures. Malgré les frais considérables attachés au transport d’une marchandise, qui emprunte habituellement la voie de terre pour passer du port de débarquement aux ateliers de l’intérieur, les fabricans de ces villes industrieuses trouvent de l’économie à s’adresser directement au principal marché d’importation.

Le commerce suit dans sa marche une tendance visible à la concentration. À l’intérieur, les capitales finissent par annuler tous les petits centres d’approvisionnement situés dans un rayon de quatre-vingts à cent lieues, et les produits se vendent souvent à meilleur compte, dans ces entrepôts universels, qu’au siége même de la fabrication. Il en est de même à la frontière maritime. Là aussi, les grands marchés détruisent les petits par l’économie qu’entraîne toujours l’accumulation des marchandises et des capitaux. Ainsi, nous avons encore plusieurs ports d’armement, mais nous n’aurons bientôt plus qu’un seul port de commerce sur l’Océan, et un autre sur la Méditerranée ; déjà le Havre et Marseille représentent à eux seuls environ 60 pour 100 de notre mouvement commercial sur la frontière de mer.

Veut-on une preuve plus directe de l’influence qu’exercent sur les approvisionnemens les grands marchés d’importation ? La Belgique elle-même nous la fournira. Elle tire, en effet, des entrepôts d’Europe une grande partie