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de Londres et aux vieux trottoirs sur lesquels il avait l’habitude de marcher. Cet esprit sympathique avait compris combien l’accoutumance fait partie nécessaire des affections. Élevé par la charité publique dans l’école métropolitaine de Christ-Hospital, placé dans sa première jeunesse comme simple commis dans les bureaux de la compagnie des Indes orientales, gratifié d’une pension de retraite, neuf années avant sa mort, par la générosité de cette compagnie aristocratique et bourgeoise, il est mort en décembre 1834. Voilà toute sa biographie. On peut ajouter qu’il a vécu constamment à côté de sa sœur Marie-Anne Lamb, célibataire comme lui, comme lui maladive et n’ayant que le souffle, sorte de duplicata féminin de sa pensée et de ses goûts, et que cette double singleness, comme il s’exprimait lui-même, ce célibat double lui a donné tout ce que ses pâles journées ont renfermé de bonheur. On peut dire encore que son premier recueil (Petits Poèmes) parut en 1798 ; Rosamonde Gray, récit, en 1800 ; Jean Woodwill, tragédie, en 1802 ; M. H…, comédie burlesque (sifflée à Drury-Lane), en 1806 ; les Specimen des Dramaturges anciens, en 1808 ; enfin que les Essais d’Elia, ses chefs-d’œuvre, furent semés entre 1820 et 1833, dans les journaux et revues intitulées le Réflecteur, Londres, le New Monthly, Blackwood, l’Anglais. Il donna quelques critiques littéraires à l’Examiner, publia un autre petit volume de vers sous le titre de Poésies pour les Album ; et sa sœur Marie coopéra à la rédaction des Contes shakspeariens et des Aventures d’Ulysse, deux charmans ouvrages. Les premiers noms de la Grande-Bretagne visitaient son obscure demeure, et, peu de temps après sa mort, Thomas Noon Talfourd, homme d’infiniment de goût et de grace, publia deux volumes de ses lettres familières, remplies de cette saveur délicate et singulière qui n’appartient qu’à lui.

Faire comprendre et analyser le mérite de Charles Lamb, lui assigner une place dans la littérature anglaise et parmi ses contemporains, ne sont pas des tâches faciles. C’est un grand écrivain qui a fait de petites choses, un penseur profond qui ne s’est occupé que de puérilités, un style admirable caché sous la simplicité, l’essence du génie sans le charlatanisme du talent.

Ce n’est pas qu’il ne possède une valeur très réelle et qu’il n’ait accompli son œuvre avec autant de conscience que de persévérance ; mais les esprits superficiels sont nombreux : aimant l’ordre visible et n’estimant que l’apparence, ils ont quelque peine à découvrir ses mérites. Lamb, le premier des critiques modernes, le plus fin des peintres de mœurs anglaises entre 1800 et 1830, est celui qui a pé-